
L’Afrique, continent mystérieux par excellence, terre de tous les dangers et source inépuisable d’aventures.
Mes premiers rêves d’Afrique sont nés devant un petit écran en noir et blanc. C’était la séance cinéma du mardi soir en famille. Pas de 4K ni de son Dolby Stéréo Surround, mais des moments exceptionnels car rares. Il y avait des aventuriers accompagnés de colonnes de porteurs qui se frayaient difficilement un chemin dans la jungle, des tribus étranges toujours en train de danser et chanter, des attaques de fauves, des filles à la poitrine nue qui émoustillaient le gamin des années 80 que j’étais, mais, surtout, il y avait lui, Tarzan et son cri qui, longtemps a résonné dans ma tête comme un appel.
C’est bien plus tard, une fois devenu ados, alors que je bravais les consignes maternelles en lisant caché sous les draps à la lampe de poche, que je vis pour la première fois le nom de Tombouctou. À cette époque, alors que mes copains de collège jouaient au foot, je rêvais d’Aventures avec un grand A.
Mes héros avaient pour noms Marco Polo, David Livingstone, John Colter
Et évidement, René Caillé dont je dévorais l’incroyable saga.
La vie est parsemée de moments forts qui vous marquent à tout jamais. C’est toujours du petit écran qu’est venu le coup fatidique avec l’incroyable épopée télévisée de la Cloche tibétaine. Je venais de découvrir l’aventure mécanique. Elle ne me quittera plus. Enfin, à cette époque c’était surtout des rêves bercés par les célèbres croisières Citroën. Je restais subjugué devant la détermination et l’imagination déployées pour triompher des difficultés inerrantes aux grandes épopées.
Et la couleur est arrivée à la télévision.
Avec elle une nouvelle génération d’aventuriers, celle qui marquera ma vie à tout jamais, les héros du rallye Paris Dakar
Des inconnus qui bricolaient des voitures et des motos improbables pour s’élancer à l’assaut de pistes cassantes et de déserts infinis.
C’était démentiel.
L’époque de la démesure, que ce soit dans les paysages, dans les prises de vue depuis l’hélicoptère où l’on voyait les motards surfer de bosses en bosse défiant les lois de la gravité. De la démesure aussi dans l’imagination humaine. Qui aurait pensé faire une telle course en Renault 20, 4L ou pire, sacrilège parmi les sacrilèges, en Porsche 911!
L’aventure mécanique et humaine par excellence. J’ai encore ces images de motards couverts de latérite arrivant au bivouac en plein milieu de la nuit, l’œil hagard, tenant à peine debout et se demandant tout simplement ce qu’ils faisaient là. Il y a ces images incroyables de motards ensablés dans des cordons de dunes infinis mais qui, au bout du compte, triomphaient de l’enfer jaune. Et bien sûr, la scène qui restera gravé à tout jamais dans ma mémoire, celle d’Hubert Oriol arrivant en pleur, les deux chevilles cassées mais toujours sur sa moto. De véritables héros.
C’était en suivant cette aventure années après années que j’y ai rencontré un homme. Thierry Sabine. L’idée du rallye Paris Dakar lui était venu alors qu’il s’était perdu durant une autre course, Abidjan – Nice.
Il y découvrait alors le désert qui deviendrait sa raison de vivre, et la cause de sa mort
Le désert.
Etendue de sable à la fois stérile et envoutante. Les hommes le fuient ou en tombent amoureux comme Théodore Monod qui le raconte si bien.
Mais revenons à Abidjan. Localisation inconnue affublée d’un nom banal qui ne titillait en rien mon imaginaire. Vous m’auriez dit Ispahan ou Samarcande, là oui, vous auriez vu mes pupilles se dilater. Mais Abidjan, non, j’avais beau chercher dans les tréfonds de ma mémoire mais ce mot ne m’inspirait rien. Et pourtant, c’est là que je fus envoyé en 1992 pour effectuer mes deux années de coopération. Je venais d’obtenir mon DEA ainsi qu’une bourse de thèse, mais avais par la même occasion épuisé tous les reports possible d’incorporation.
Car oui, à l’époque l’égalité des sexes n’était pas même un concept et seuls les hommes étaient tenus de donner un an de leur vie à la patrie dans le cadre du service militaire. Je dois bien l’avouer, porter le treillis ne m’a jamais vraiment fait rêvé. Non pas que je le trouvais peu seyant, mais c’était plutôt mon esprit rebelle qui avait du mal avec l’autorité directe et sans concession.
Heureusement que l’état, dans sa grande mansuétude, avait pensé aux esprits libres et rêveurs de mon genre en créant la coopération. Ou peut-être tout simplement, l’armée avait trouvé ce stratagème pour se débarrasser des huluberlus comme moi qui, adorant parler, n’avaient rien à offrir à la grande muette. Mais fuir l’armée avait un prix.
Ce n’est pas un mais deux ans de coopération qu’il me faudrait effectuer … pour mon plus grand bonheur
Peu importe. Pour moi c’était LA grande aventure. La coopération je connaissais, enfin, j’en avais retenu ce que je voulais bien. Elle avait pour moi ce parfum d’aventure depuis que mon professeur d’histoire géographie de cinquième nous avait conté avec tant de conviction sa propre expérience à Madagascar. Je restais scotché devant son diaporama qui me téléportait hors des murs de la classe. Mais ce n’était rien par rapport à son voyage de retour en France, la traversée de l’Afrique en 2cv. Aujourd’hui vous pouviez bien me dire que j’étais affecté au collège Notre Dame d’Afrique d’Abidjan pour y enseigner les mathématiques et la physique, mais je n’avais en tête que mes héros du Paris Dakar et mes rêves d’aventures mécaniques.
C’était décidé, arrivé sur place j’achèterai un 4×4 et je profiterai de mes très longues périodes de vacances pour partir voyager
L’aventure.
Justement, elle commençait à Paris à l’aéroport Charles de gaulle où je devais prendre l’avion pour la première fois de ma vie. Il faut bien un début à tout. Il y avait là toute ma famille car oui, c’était aussi la première fois qu’un de ses membres s’envolait qui plus est pour une destination aussi lointaine. Trouver le bon terminal et enregistrer mes bagages étaient déjà une prouesse en soi.
Tout d’un coup je venais de réaliser que je voyagerai pas que pour moi
Je n’y avais jamais pensé auparavant trop focalisé que j’étais par mes projets, mais là, à cet instant, il me semblait évident que tout ma famille comptait sur moi pour les faire rêver eux qui n’avait jamais été plus loin que le nord de l’Espagne. Ce récit, même aussi tardif, est en partie pour eux.
Surbooking.
Voilà un mot dont j’ignorais l’existence y quelques secondes encore et qui venait d’un seul coup mettre un terme à mon départ. Comme si une force obscure se jouait de moi en me refusant la possibilité de transformer mes rêves en réalité. L’hôtesse essayait d’expliquer avec une infinie compassion au jeune provincial que j’étais la procédure à suivre.
Air France prenait en charge le coût de mon hôtel, du restaurant et du taxi. Oui, mais voilà, je n’étais pas seul. Il y avait toute la smala avec moi. Négociation, discussion, rien n’y fait. C’est dans la guimbarde familiale que nous partîmes direction Orléans passer la nuit chez une de mes tantes. Le lendemain matin, départ aux aurores pour cet aéroport qui ce coup-ci, je l’espérais, me permettrait de m’envoler vers mes rêves.
Enfin dans l’avion. Un 747 de chez l’américain Boeing, l’avion géant de l’époque. Pour une première, autant faire les choses en grand. Et justement, Air France s’avait mettre les petites plats dans les grands. Apéritif, menu au choix sur papier gaufré et servi dans de vrais assiettes. Summum du luxe pour moi, du vin à la carte et qui plus est, à déguster dans de vrais verres à pieds. C’était une époque. Issu d’une famille modeste, c’était mon premier vol et mon premier grand restaurant, le tout à dix mille mètres d’altitude. Mais je n’avais que faire du luxe.
Mon corps pouvait bien être au-dessus des nuages, mon esprit lui s’imaginait déjà bourlinguant dans la savane et les déserts les plus inhospitaliers
Une sonnette retenti. Mesdames et messieurs, veuillez attacher votre ceinture s’il vous plait, nous allons entamer la descente sur Abidjan. La température au sol est de … mais déjà je n’entendais plus la voix de l’hôtesse. J’y étais, enfin presque. Il y avait à bord plusieurs centaines de passagers mais c’est comme s’ils avaient tous disparut d’un seul coup. Je me retrouvait là, seul face à mon destin. J’allais fouler le sol africain dans quelques minutes. Ma vie basculait. Plus rien ne serait comme avant.
Les portes s’ouvrent et la marée humaine des passagers débarquant commence. Je ne sais pas du tout ce qui m’attend. J’ai juste avec moi mon passeport et l’adresse du collège où je suis attendu. Je ne suis pas inquiet pour autant. Mon tour arrive et je suis le flot à travers couloirs et escaliers afin d’aller récupérer mes bagages. En fait le pluriel est ici usurpé. Le singulier est suffisant puisque je n’ai qu’un sac. Tout ce que je possède tient dans un simple sac à dos.
Ma première image de l’Afrique est cette foule bigarrée et bruyante
Tout le monde est massé derrière un cordon de sécurité essayant de repérer les proches qu’ils sont venus accueillir. Je venais de Charles de Gaule où tout le monde marchait silencieusement à côté de son voisin. Ce n’était pas encore l’époque des voyages de masse et le costume cravate était toujours l’uniforme dominant en ces lieux. Ici le contraste est saisissant. Il règne une atmosphère surréaliste comme si la froideur des installations aéroportuaires était incompatible avec cette foule pleine de vie qui s’agitait sous mes yeux. Je devrais m’y habituer, l’Afrique de l’ouest est tout en couleur, odeur et mouvement. Je n’ai rien d’autre à faire que de suivre le flot de passagers quand j’aperçois, dépassant au-dessus de ces têtes agitées, un écriteau en carton avec mon nom écrit au marqueur. Je suis attendu, c’est déjà cela.
C’est Claude, un des enseignants du collège venu m’accueillir. Les présentations sont expédiées sans plus de formalités. Le courant passe tout de suite entre nous malgré la grande différence d’âge. Il m’explique rapidement qu’il va falloir passer la douane mais qu’il s’occupe de tout.
Pour la suite du récit, je me dois de préciser qu’à cette époque il y avait nous, les blancs ou toubabous comme ils disaient et eux, les noirs ou les ivoiriens sans que cela soit méprisants pour les uns et les autres. D’ailleurs, entre eux, s’ils venaient à s’insulter, ils se traitaient de « sale nègre ». Les mots noirs et blancs sont donc ici seulement les mots usuels de l’époque pour désigner des communautés distinctes.
Revenons donc au passage de la douane. Claude hèle un jeune qui était là, discute cinq minutes avec lui, lui tend un billet et revient me voir. Quelques minutes plus tard, la personne en question revient vers nous pour nous prévenir que tout était réglé. Il prend mon sac et nous nous dirigeons vers le poste de contrôle. Il passe en premier, l’agent des douanes me demande mon passeport, le tamponne, et me voilà officiellement en République de Côte d’Ivoire! La porte de l’aéroport s’ouvre et c’est le choc.
Je suffoque tellement la chaleur et l’humidité m’agressent
Je viens de passer toute la journée dans une atmosphère fortement climatisée, et là, j’acquiesce difficilement le coup. Pour tout dire, je suis plutôt un homme des pays froids. Je savais que j’aurais du mal à supporter la chaleur, mais je n’avais pas imaginé ce que cela signifierait. Il fait nuit et nous nous dirigeons vers la voiture, une authentique Renault 12. Je n’ai pas encore atteint la voiture que je sens déjà la transpiration dégouliner le long de mon dos. Une fois à bord nous nous dirigeons vers le collège qui n’est pas très loin. La chaleur est toujours là. Je n’ose imaginer ce que cela sera demain en pleine journée.
Nous arrivons un collège.
Il y a un internat avec des chambres réservées aux coopérants. Mais il est 22h passé et tout le monde dors déjà. Une assiette froide m’attend au réfectoire. Je l’engloutie prestement et Claude m’amène rapidement dans la chambre qui sera mon chez moi pour les deux années à venir. Une pièce rectangulaire au murs crépis sans décorations, un bureau, un lit avec une moustiquaire, une douche et un lavabo. Les toilettes sont communes et à l’étage.
C’est simple pour ne pas dire spartiate. Mais peu importe. Sur le moment, dans cette chambre qui s’apparente plus à une cellule maniacale qu’à un studio pour étudiant européen, une seule chose m’importe réellement : le climatiseur. Claude m’explique qu’il est fonctionnel de 20h à 6h et de 13h à 14h pour la sieste. C’est le seul moyen pour bien dormir. Je veux bien le croire. Mais il est déjà tard et il me laisse.
Enfin seul.
Je pose mon sac sur le bureau, laisse mes habits sur mon lit et file sous la douche. L’eau fraiche et la climatisation ramènent progressivement ma température corporelle à une valeur acceptable. Je ne traine pas, la climatisation s’arrête demain à 6h et aucune grâce matinée ne sera possible. Je me familiarise dans le maniement de la moustiquaire et me glisse dans les draps où je m’endors sans plus attendre bercé par le ronronnement du climatiseur.

N.B. Pour ceux qui seraient désireux de mieux connaître la culture ivoirienne et Abidjan, je vous ai sélectionné quelques vidéos que je trouve très représentative de ce que j’y ai connu. C’est ici. Sinon, la suite de l’histoire.


L’épreuve du permis de conduire