Achat et préparation de ma nouvelle moto

Tout d’un coup cela devient sérieux, comme un avant goût d’aventure. Pour moi, moto et voyage sont indéniablement liés, l’un étant l’instrument de l’autre.

Le téléphone ivoirien, enfin, le bouche à oreille fonctionne plutôt bien. Je rentre en contact relativement vite avec un groupe d’expatriés qui organisent des mini rallyes-raids en Côte d’Ivoire. Ils ont des trails préparés et équipés pour l’aventure … sportive. Il y a justement à vendre un magnifique Honda 600 XR préparé avec un gros réservoir d’essence et un réservoir d’eau additionnel, bref, la machine de rêve.

Je pars l’essayer et là j’ai le choc de ma vie

Non, plus exactement la trouille de ma vie, nuance. Première accélération et je crois mourir sur le champ tellement elle pousse fort, ou enfin tire sur les bras! Je ne m’y attendais pas du tout et heureusement qu’il n’y avait pas d’obstacle devant moi sinon c’était la catastrophe. Je m’arrête aussi tôt, fait demi-tour précautionneusement et la rend à son propriétaire. Ah oui, il y a aussi une préparation moteur me dit-il, merci de m’avoir prévenu! Pour moi qui devait totaliser au grand maximum deux kilomètres d’expérience à moto, c’était trop. Une assurance de mort et non une promesse d’aventure.

La raison, ou peut-être l’instinct de survie me fait décliner l’offre. Nouveau coup dur. Dans quoi me suis-je fourré? Ne suis-je pas tout simplement inconscient de vouloir partir à Tombouctou en moto alors que je n’ai même pas été capable de passer la seconde sur une vrai moto? Plus que jamais je réalise qu’entre les images des héros du Paris Dakar et la réalité il y a un monde, enfin, bien plus que cela, un univers!

S’ensuit une période de doute. Je repense à mon professeur de géographie de cinquième qui a traversé l’Afrique en 2cv. Ici elles sont rares mais la 4L fait fureur et il y a beaucoup de choix. Au final, mon objectif c’est le voyage, non? Alors, pourquoi pas en 4L? Peu importe le véhicule, non?

Je commence à en rechercher une activement. J’en essaie même plusieurs mais je n’arrive pas à me décider. C’est comme si au fond de moi une petite voix me disait David, ne fait pas ça, tu le regretteras … Pourtant j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, l’analyse logique de la situation aboutit inévitablement à cette conclusion.

Oui, mais voilà, je repense régulièrement à l’essai de ce 600 XR. Avec le temps la peur que j’avais ressenti sur le moment s’estompe et ne restait qu’un sentiment étrange, indéfinissable, un mélange de liberté et de fierté pimenté d’un zeste de sensations fortes, un truc qui remonte des tripes, irrésistible. Ce 600 XR qui a failli me tuer m’a aussi ouvert les yeux, le cœur l’emporte sur la raison.

C’est décidé, je serais motard

A ce stade-là, tout psychiatre digne de ce nom aurait pronostiqué une instabilité chronique à tendances suicidaires aggravées.

C’est la vie, le destin, le karma, appelé le comme vous voulez. J’étais mordu, je repensais souvent à la poussé de cette moto qui me propulsait de l’avant, c’était devenu ma nouvelle addiction. Il me fallait absolument ressentir cela de nouveau.

Ressentir cela de nouveau, oui, mais tout en restant vivant pour en profiter!

Magie de l’Afrique ou non, je ne sais pas, mais c’est à ce moment-là que j’entendis parler d’un français qui louait des trail et organisait des raids pour découvrir le pays. Pour bien faire, il en revendait deux pour renouveler une partie de son parc histoire de n’avoir toujours que des motos neuves. Je prends donc contact par téléphone, nous discutons et négocions.

Je prends le temps de réfléchir et d’en discuter avec Eric qui, en tant que vrai motard, connaissait bien les différents type de moto, car en ce qui me concerne, c’était du chinois! Je reprends contact avec le vendeur et lui demande de préparer les papiers. Enfin je m’étais décidé! Car oui, l’élément déterminant fut le tarif. C’était un véhicule hors taxe et en tant que coopérant j’y avait droit. Cela me permettait d’échapper à la fameuse taxe douanière de 100% ou, vu différemment, d’acquérir une moto à moitié prix!

Alors oui, acheter une moto comme ça par téléphone sans jamais l’avoir vu ni même essayé peut passer pour de la pure folie, mais, au point où j’en étais, cela paraissait même presque logique! De toute façon, à bien y regarder, vu mon cahier des charges, une moto facile pour débutant en bon état équipé grand raid à petit prix, je n’aurais pas cinquante occasions.

Il ne me restait plus qu’à aller la chercher.

Ce qui en France ne serait qu’une simple formalité va devenir ici, en Côte d’ivoire, ma première aventure!

Mais avant cela, j’avais encore quelques préparatifs à effectuer. L’équipement du futur motard que j’allais devenir sous peu. Sous les conseils d’Éric, je pars à la recherche d’un casque et de gants. Pour le casque je l’ai trouvé chez un expatrié qui rentrait en France et qui vendait ce qui lui restait. Par chance son casque était à ma taille. Pour les gants je finis par trouver un modèle à ma taille qui devrait faire l’affaire, des gants en cuir pour maçon que je dégotte dans une boutique de matériaux pour artisans. Pour le reste j’avais un jean et des baskets, cela ferait donc l’affaire. Oui, je comprends bien que vu de France au vingt et unième siècle cela parait un tant soit peu léger, mais j’étais en Afrique en 1992!

Le jour du grand départ arrive. Je dois aller la chercher dans un village proche de San-Pédro à un peu moins de 400 km d’Abidjan. J’ai déjà planifie mon trajet en bus pour y aller et le retour s’effectuera évidement en moto. J’ai prévu de partir tôt pour arriver en fin de matinée sur place et être de retour le soir à Abidjan.

Départ du collège en taxi pour la gare routière d’Adjamé. Il est tôt et je ne ressens pas encore les effets de la chaleur. En fait je m’y suis habitué petit à petit. Je transpire toujours autant mais cela fait partie du quotidien et ne me dérange plus comme aux premiers jours. Je regarde par la fenêtre et je vois les petits vendeurs à la sauvette s’installer.

Adjamé, quartier populaire que je découvre pour la première fois. J’arrive à la gare routière qui déjà grouille de monde. Il y a les voyageurs évidemment, mais aussi les petites vendeuses d’eau ou de bissap dans des petites poches en plastique. Elles les stockent dans une glacière qu’elles portent sur la tête tout en criant sans cesses « eau glacé, bissap ». Elles sont partout. Pour quelques francs CFA les passants en achètent une, déchirent la poche plastique avec les dents et, une fois désaltéré, jettent la poche par terre.

Mais je ne suis pas là pour cela, j’ai un bus à prendre. Je descends du taxi, règle ma course et m’avance dans ce capharnaüm géant à la recherche d’un panneau des départs. En tout cas, cela parait logique. Dans toutes les gares d’Europe il y a un panneau des départs et un pour les arrivées et le tout avec les horaires, les quais les voies, bref, tous les renseignements pour que le voyageur puisse se retrouver.

J’avais juste oublié un détail une fois de plus, je n’étais plus en France mais Côte d’Ivoire. Il n’y a pas de panneaux, pas de guichet d’information ni de point de vente de ticket. En fait rien n’est organisé. Il y a là pêle-mêle des taxi brousses, les fameux bâchés appelés chez nous pickup dont le plus emblématique représentant est la Peugeot 404, les Gbakhas, des minibus pour les liaisons courtes et les bus.

Aux cris des vendeurs en tout genre qui haranguent les voyageurs présents se mélangent ceux des rabatteurs, jeunes gens chargés de démarcher les futurs clients et d’encaisser le prix de la course. Cela grouille de monde dans une anarchie totale. Je ne sais plus où donner de la tête, c’est une découverte pour moi. J’avance machinalement sans savoir vraiment où absorbé que j’étais par toute cette vie. Il faut jouer des coudes pour avancer, faire attention aux véhicules qui partent en klaxonnant sans pour autant ralentir tout en regardant où l’on pose les pieds car, évidemment, le sol en terre battu est loin d’être vierge de détritus en tout genre.

C’est un jeune ivoirien qui me sort de ma torpeur. C’est un rabatteur. Je lui explique que je cherche le bus pour San-Pédro et lui donne l’heure du départ. Il m’indique alors la direction et la couleur du bus. Ensuite il me faudra demander à nouveau. C’est cela l’Afrique de l’Ouest. Alors que nous occidentaux cherchons en permanence à être le plus autonome et efficace possible avec nos plans, cartes dépliants et maintenant nos applications mobiles, ici tout passe par l’échange avec l’autre. Parler pour parler est un véritable art de vivre, dire en trois phrases ce qui aurait pu être dit en trois mots la règle. Ils sont curieux et décomplexés. Je finis donc par trouver un bus de la bonne couleur. L’anxiété monte car je commence à voir l’heure tourner et je ne voudrais pas rater mon bus. J’interpelle le chauffeur et me renseigne.

Et c’est la douche froide. Pas celle qui vous rafraichi par temps de canicule, non, mais de celles qui vous glace littéralement en vous figeant sur place.

La ligne Abidjan San-Pédro n’existe plus depuis belle lurette

Les tables d’horaires ne sont jamais mis à jour. Mais quel intérêt d’avoir une table d’horaires si elle n’est pas mis à jour? Là c’en était trop pour mon esprit scientifique et cartésien. En fait, c’est une fois de plus un vestige colonial du temps où les compagnies de transports étaient gérées par des blancs. Mais cela ne correspond pas à leur culture, ils les ont donc abandonnées.

Je ne dois plus raisonner comme un toubabou mais comme un ivoirien. Que ferait-il? Un rabatteur évidemment. J’en hèle un à mon tour et lui demande comment faire. Il me dit de le suivre, va voir un collègue qui le renvoi à un autre pour finir par arriver à un rabatteur d’un taxi brousse en partance pour San-Pédro. Victoire!

Je m’enquière de l’heure de départ et de l’heure d’arrivée mais là encore il me répond par une tournure alambiquée pour me dire que c’était pour bientôt. Hum. Je commence à me méfier. Je comprends vite qu’en fait il partira … quand il sera plein! Donc plus je reste là à lui parler, moins vite il trouvera d’autres clients et plus tard nous partirons. C’est l’Afrique, je dois m’y faire. Quant à savoir l’heure d’arrivée, tellement de paramètres incontrôlables entrent dans l’équation, que même Madame Irma et sa boule de cristal aurait bien été incapable de savoir!

C’est l’Afrique noire et si je veux la comprendre il me faut me dépouiller de ma culture occidentale cartésienne pour m’ouvrir à la leur. Comme j’ai un peu de temps avant notre départ, je vais en profiter pour vous présenter le taxi brousse qui va me mener à ma destination, enfin, je l’espère!

C’est une authentique Peugeot 404 bâchée dans un état plus qu’acceptable d’après les critères locaux. Dix personnes prennent place à l’arrière, et devant avec le conducteur, deux privilégiés qui auront payé plus cher le confort supplémentaire. Le rabatteur quant à lui sera assis sur le toit. Vous l’aurez compris, la notion de PTAC a été sacrifié sur l’hôtel de la rentabilité. Pendant que le plus jeune se démène pour trouver des clients, le patron s’occuper d’arrimer le chargement sur la galerie. Il va s’en dire que nous aurons aussi des paquets par les pieds.

Ce jour-là, pour mon inauguration du taxi brousse, je suis chanceux car il n’y a pas d’animaux dans le chargement. Les passagers sont assis sur des bancs en bois avec comme tout dossier, des traverses métalliques. Vu que je doute fortement que les suspensions soient au mieux de leur forme et sachant que la grande majorité de la route n’est que de la piste, je pressens un trajets des plus éreintant.

Mes compagnons de voyages arrivent progressivement. Ce sont toutes des femmes. J’en aurais la confirmation plus tard, ce sont elles qui majoritairement s’occupent du commerce et donc se déplacent toujours avec leur marchandise. Les hommes eux, sont aux champs. Elles sont habillée de boubous très colorés en batik, tissus très coloré et imprimé avec, soit des motifs traditionnels, soit religieux. Les plus élégantes et les plus riches ont des robes entière du même tissu, les plus pauvres, un simple teeshirt et un pagne en batik noué autour de la taille. Toutes sont chaussées de claquettes, le terme local pour désigner les tongs. Enfin le moment du départ arrive. La matinée est bien avancée et j’ai abandonné depuis longtemps l’idée d’arriver avant midi.  

Le début du voyage se passe plutôt bien, je suis la curiosité locale une fois de plus. Un blanc est censé être riche et se déplacer avec sa voiture particulière mais en aucun cas en taxi brousse. Les questions fusent, j’y répond avec plaisir. J’aime ses échanges spontanés c’est la meilleure façon de découvrir une culture. Je me retiens de leur dire que si je suis là c’est parce je n’ai pas les moyens de faire autrement car  en tant qu’employé d’une ONG, comme je suis logé nourri et blanchi, mon salaire est en contrepartie très faible.

Comment pourraient-ils l’entendre? Je vais acheter une moto qui représente une véritable fortune pour eux. Souvent durant mes voyages j’ai été sollicité financièrement et jamais je n’ai utilisé ce prétexte pour justifier mon refus sachant que dans ces pays, le seul fait de voyager pour le plaisir ou le tourisme est un luxe qu’ils ne pourront jamais s’offrir. Même pauvre chez nous nous serons toujours beaucoup plus riche qu’eux, surtout lorsque l’on voit le prix des motos et des équipements que nous avons aujourd’hui.

L’attrait de la nouveauté étant passé, le calme s’installe et chacun souffre en silence ou presque puisque un poste de musique dans l’habitacle distille de la musique. Oh oui, que le trajet est inconfortable! La piste est parfois en mauvais états et chaque trou sur la piste se répercute directement par un coup dans le dos. Une véritable bastonnade! Nous sommes régulièrement projetés de droite à gauche ou en avant. L’extrême promiscuité de ces dix corps entassés fait que nous sommes obligés de nous retenir les uns aux autres. Au début j’étais gêné de me raccroché ici à un genoux, là à un bras. Mais cela ne semblais nullement déranger mes voisines qui de toute façon faisaient de même. Le rapport au corps est ici très différent de la France surtout de nos jours.

Le voyage est monotone et ennuyeux jusqu’à ce qu’arrive la première descente. Je sors immédiatement de ma torpeur. Le moteur vient de s’arrêter. Sommes-nous en panne? Je jette un œil rapide à mes compagnes de voyages et j’y surprends un air inquiet. Je ne suis pas rassuré. Et là je comprends. Nous sommes en roue libre dans un véhicule hors d’âge et au chargement improbable. Dois-je préciser qu’il n’y a ni ceintures de sécurités ni airbags?

Nous sommes en train de battre tous les records de vitesse du voyage et nul ne sait si la suspension résistera à un tel traitement

J’angoisse sérieusement. Mes voisines ne sont pas plus rassurées. Les mains se crispent sur les genou au fur et à mesure que la 404 prend de la vitesse. Tout d’un coup un énorme craquement retenti et nous sommes brutalement ralenti avant de repartir dans un hurlement de moteur. Le chauffeur venait de réenclencher une vitesse. La mécanique de ces voitures est vraiment d’une solidité à toute épreuve! Mon regard interrogateur doit trahir ma pensée. Une de mes voisines d’infortune m’explique alors que pour économiser de l’essence, les chauffeurs coupent le moteur dans chaque descente, prennent le plus d’élan possible afin de ne le rallumer que le plus tard possible. Il y a beaucoup d’accident à cause de cette pratique. Ok, j’en déduit donc que ce n’est pas fini et que cela recommencera. Tout d’un coup San-Pédro semble loin, si loin …

Que soient remercié les ingénieurs de chez Peugeot, la mécanique de la 404 a résisté à ce traitement! Grâce à elle nous sommes arrivés en un seul morceau à San-Pédro. En quittant ces femmes je ne peux m’empêcher de penser qu’à chaque fois qu’elles doivent se déplacer elles mettent leur vie en jeux.

Pour aller au village voisin je prends un taxi compteur, comme on appelle ici les vrais taxis. J’y arrive avec quatre bonnes heures de retard. Je me confonds en excuses. Inutile, mon vendeur est un vieux briscard et se doutait bien que l’heure d’arrivée que je lui avait donné était légèrement sous-estimée!  Mais peu importe. Il m’offre de l’eau fraiche et nous allons immédiatement la voir. Mon rythme cardiaque s’accélère.

Elle est là.

Une magnifique Suzuki 350 DR équipée d’un réservoir Acerbis de 16L lui conférant environ 400 km d’autonomie. Je vais l’essayer. Il me montre la procédure pour la démarrer au kick. Ouvrir l’essence, mettre le starter si elle est froide, actionner le décompresseur manuel, enfoncer doucement le kick jusqu’à ce que le décompresseur remonte et là, donner un coup de mollet sec sur le kick. Cela parait un peu fastidieux à première vue, mais elle a démarrée du premier coup.

Je vais faire un petit tour avec et je suis aux anges. Pas d’accélération violente qui me ficherait la trouille, une moto maniable, j’ai les pieds qui touchent facilement par terre et le demi-tour se fait sans problème.

Elle est parfaite! Je l’achète! Et bien oui, quoi regarder d’autre? Je n’y connait rien de toute façon! Faire confiance parfois, c’est loin d’être facile mais indispensable pour éviter de finir schizophrène. En fait il en vend deux, même tarif et même kilométrage alors je choisi la blanche que je trouve plus élégante. Je m’équipe de mon casque et de mes gants et refait un tour en lui demandant d’immortaliser ce moment unique! Avec le recul aujourd’hui, en regardant cette photo, je réalise pleinement que cette partie cycle n’était pas du tout adaptée à mon gabarit. Mais en 1992, c’était la moto parfaite pour moi!

Les papiers sont rapidement complétés. Je suis tout excité à l’idée d’enfin rouler sur ma propre moto! Et ce n’est pas tout, j’ai presque 400 km à abattre! Je sors l’argent liquide pour le payer … de mes chaussettes! Et oui, pas de carte bancaire ni de carnet de chèque, tout se monnaye en liquide. J’avais donc pris de grosses coupures que j’avais cachées dans mes chaussettes et n’avait gardé qu’un peu d’argent sur moi en cas de vol. Abidjan n’était pas une ville sure.

J’enfile mon sac à dos et je le salue. Sur le moment je n’arrive pas à interpréter l’expression de son visage. Est-il désabusé, résigné? Peu m’importe, je n’ai qu’une envie à ce moment-là, prendre la route!

Mon enthousiasme aura duré bien … dix secondes … le temps de réaliser que je n’arrivais pas à la démarrer. Il me remontre en essayant de me rassurer, juste un manque d’entrainement, mais je devrais vite y arriver.

Ce coup-ci je pars en espérant ne pas caler trop souvent. Ila eu la gentillesse de me faire le plein, donc je devrais pouvoir faire tout le trajet d’un coup. Naïf que j’étais …

C’est ma première fois et j’ai bien l’intention de la savourer. Au début on fait connaissance, je me montre un peu timide, je n’ose pas trop la brusquer. Je suis même un peu maladroit, c’est la jeunesse. Mais notre rencontre en est à ses prémices. Nous nous cherchons, peu à peu je commence à prendre mes marques. Je ne la brusque pas, nous avons tout notre temps. Je la couve du regard et laisse ces sensations nouvelles envahir mon corps. Je la sens vibrer sous moi, comme une invitation à aller plus loin. Je la titille délicatement, elle se laisse faire. Je m’engaillardi, j’accélère le rythme et passe à la vitesse supérieure. Elle répond instantanément à mes sollicitations, monte dans les tours et se manifeste bruyamment. C’est l’extase!

Faire de la moto peut être très jouissif mais parfois il faut reprendre le contrôle. La piste arrive m’obligeant à plus de concentration. Au début c’est une autoroute de latérite, cette terre rouge qui deviendra une constante durant ces deux années en Afrique de l’Ouest. Les kilomètres défilent sur cette route que l’on appelle la côtière.

La partie dégradée de la piste arrive ce qui pour le débutant que je suis n’a rien de rassurant.

Et pour bien faire la pluie s’invite aux réjouissances. Oui, la pluie, elle viendra régulièrement jouer les trouble-fêtes. C’est pour moi une surprise. Dans mon imaginaire l’Afrique était synonyme de sècheresse et non de pluie. Mais une fois encore mes idées préconçues étaient torpillées par la réalité. L’Afrique est un continent gigantesque avec des climats très différents. Le sud de la Côte d’Ivoire étant très proche de l’équateur, il y règne un climat tropical avec une saison sèche et, de juin à septembre, une saison des pluies rythmée par de fortes précipitations.

Le cocktail devient détonant. Je suis en plein apprentissage de la conduite à moto et je me retrouve sur une piste défoncée qui plus est sous une averse interminable. Je suis rapidement trempé jusqu’aux os. Ce n’est pas un problème en soit parce qu’il fait 30°C en moyenne. Je n’ai pas froid et si je suis tétanisé sur la moto, ce n’est dû à la pluie, mais seulement à mon inexpérience et à mon stress. De toute façon, quand l’averse sera je sècherai très rapidement. Non le danger vient d’ailleurs. La pluie rend la piste glissante et peut la transformer en bourbier.

Mais le pire est qu’elle couvre la piste de grande flaque d’eau trouble masquant complètement les potentiels dangers.

A ce moment-là je suis tout sauf rassuré. Je ralenti grandement le rythme et commence un gymkhana pour éviter les trous d’eau. J’en conviens, pour un routard aguerri  cela ne poserait aucune difficulté, mais pour l’apprenti motard que je suis, chacun d’entre eux devient un vrai chalenge.

Et ce qui devait arriver arriva. Ma première chute. Ne me demandez pas comment cela est arrivé, je n’en sais rien. Je n’ai rien vu venir, rien compris non plus. Mais le résultat est là, la moto et moi sommes à terre. Je me relève prestement, je n’ai rien, pas une égratignure. C’est déjà cela. Seul mon jean maculé de terre en porte les stigmates. Branle-bas de combat, je me remémore les conseils d’Éric. Si tu tombes me disait-il, la première chose à faire est d’actionner le coupe circuit puis de fermer le robinet d’essence. Après tu peux souffler et prendre ton temps pour relever ta moto. Le coupe circuit, ok, mais c’est quoi, il est où? Je n’en sais rien. Je coupe donc le contact. Pour les robinets d’essence le vendeur me les avait montré. Il y en a deux, un de chaque côté du réservoir. Je les ferme donc avec un peu de difficulté pour celui qui est contre le sol. Je vérifie qu’il n’y ait pas d’essence qui coule et recule d’un pas.

Je crois que c’est à ce moment-là mon cerveau c’est déconnecté. Je suis là sans réaction, planté au milieu de la piste à contempler ma moto gisant par terre. Heureusement que la circulation est anecdotique.

Reconnexion de mon cerveau.

Je réalise alors la précarité de ma situation

Je n’ai rien, pas même une trousse de secours. Dans mon sac à dos j’ai juste une bouteille d’eau, une carte routière, mon appareil photo et un U. Oui, un U! Il parait que c’est indispensable, donc j’en avais acheté un avec le casque. Non seulement il ne me sert à rien ici mais il aurait pu me briser la colonne vertébrale. Je décide donc de l’attacher à l’arrière sur le porte paquet. Heureusement qu’Éric m’avait dit de mettre mon appareil photo et ma carte dans un sac plastique sinon, avec la pluie, ils seraient à cet instant inutilisables.

Je regarde ma montre. Il me reste à peine deux heures avant la tombée de la nuit et plus de 200 kilomètres à parcourir d’après mon compteur. Infaisable dans ces conditions. C’est à ce moment que j’ai paniqué. J’étais terrorisé à l’idée même de rouler de nuit sur cette piste et je n’avais rien pour dormir ni pour manger. Rien.

Voyager c’est aussi faire face à l’inconnu et aux situations qui semblent désespérées. Voyager c’est aussi rester humble et savoir demander de l’aide. Je décide donc d’aller jusqu’au prochain village et je verrai quoi faire.

Je relève ma moto. Contact, décompresseur et je donne un grand coup sur le kick. Rien. Je réitère l’opération. Rien, toujours rien. Je ne m’avoue pas vaincu pour autant, une histoire d’habitude que m’a dit le vendeur. Dix fois, vingt fois je recommence. Toujours rien. Là je désespère, vraiment.

Mais putain, quel con je suis! Je n’ai pas ouvert les robinets d’essence! Nouvel espoir. Je redouble d’énergie et au bout de trois ou quatre coup de kick j’entends enfin le moteur pétarader. Victoire, j’ai juste l’impression d’être un héros! Il ne m’en faut vraiment pas beaucoup.

En selle, première, je démarre direction le prochain village. Je suis concentré comme jamais sur la piste quand enfin j’aperçois des maisons. Je m’arrête et immédiatement une nuée de gamins s’approche. Je suis encerclé. Je sens une myriade de main se poser sur la moto et sur moi. Je demande s’il y a des blancs qui vivent ici mais ils ne savent pas. Il me faut demander à quelqu’un d’autre. Je n’avais pas coupé le moteur de peur de ne pas pouvoir redémarrer. J’essaie de repartir mais l’exercice est périlleux avec tous ces enfants autour de moi. J’avance au ralenti jusqu’à rencontrer une femme. Elle m’explique qu’au prochain village il y a un dispensaire tenu par des religieuses blanches.

J’exulte.
Si j’étais croyant, j’y verrais un signe de Dieu, mais l’indécrottable athée que je suis n’y vois que la promesse d’une douche réparatrice, d’un repas chaud et d’une chambre climatisée.

Je repars et après avoir demandé ma route plusieurs fois je finis par arriver au dispensaire, mon dernier espoir. Je coupe le moteur, descends de ma moto et enlève mon casque.

Je vais toquer à la porte. Elle s’ouvre laissant apparaitre une femme d’un âge indéfinissable tellement sa peau est buriné par le soleil. Je me présente, lui explique ma situation et lui demande l’hospitalité pour la nuit. Son visage s’illumine d’un grand sourire et elle m’accueille dans sa demeure pour mon plus grand soulagement. Je m’aperçois à ce moment-là que je suis dégoulinant et que l’intérieur du dispensaire est immaculé. J’ai honte de moi. J’hésite à avancer, elle le remarque mais insiste pour que je rentre.

Je me laisse alors guider. Elle m’offre à boire et ensuite m’emmène derechef vers ce qui sera ma chambre pour cette nuit. Il y a une douche, un lit et … un climatiseur! Le rêve devenu réalité en quelque sorte. Je ne suis pas encore sous la douche que j’entends toquer à ma porte. Elle vient m’apporter un boubou, la tenue traditionnelle. Cela m’évitera de remettre mes affaires salles et trempées. Je la remercie d’un sourire venu du fond du cœur et file sous la douche.

Une fois douché et changé, j’ai troqué mon identité de motard en herbe contre celle d’hôte d’un soir. Je rejoins leur communauté et nous nous asseyons tous autour d’une grande table où une discussion animée débute. Elles me posent nombre de questions auxquelles je réponds avec plaisir, et à mon tour je les interroge sur leur vie, leur mission et les populations qu’elles soignent. Progressivement je prends la mesure de la situation. Elles ont fait don de leur vie à une noble cause, soigner les plus déshérités, et moi je suis là en touriste en quête d’aventures et de sensations fortes. Sur le moment je me sens mal dans ma peau, mal dans mon boubou, insignifiant.

Je suis sauvé quand ce qui me semble être la mère supérieure me demande s’il faut prévenir quelqu’un de ma présence ici. Je ne suis vraiment qu’un égoïste invétéré. Bien sûr que toute la communauté du collège doit se demander où je suis puisque j’étais sensé rentrer ce soir à Abidjan.

De tout temps l’homme a cherché à communiquer sur de longues distances. Certaines peuplades utilisaient les signaux de fumée, d’autres le son des tambours. Mais à cette époque et dans ces contrées où n’existait ni internet ni les réseaux sociaux et les messageries instantanées, le miracle technologique s’appelait … ondes courtes.

En Afrique de l’Ouest, toutes les communautés francophones, les missions, les dispensaires, les écoles et même certains particuliers disposaient de radio ondes courtes. Il y avait deux rendez-vous journaliers, le matin à 6h30 et le soir à 20h30. C’était une sorte d’agora moderne où chacun pouvait donner des nouvelles, envoyer des messages personnels, passer commande ou tout simplement discuter. C’était loin d’être un gadget et mainte fois la radio m’a sauvé la mise. 

Peu importe le moyen, l’essentiel est le lien social. J’étais rassuré, tout le monde à Abidjan savait que j’étais sain et sauf et que je pensais arriver le lendemain.

C’est l’arrêt du climatiseur qui m’a réveillé au petit matin. Le temp d’émerger, de prendre une douche rapide et, la partie la moins agréable, ré enfiler mes habits sales de la veille. Je descends dans la salle commune où les religieuses sont déjà attablées pour le petit déjeuner. Je profite un dernier moment de leur hospitalité exemplaire avant de reprendre la route. Je les remercie chaleureusement et demande combien je dois pout le gîte et le couvert. Elles refusèrent ma dîme et sur ce, je m’en vais retrouver ma moto. Ce coup-ci je n’oublie pas d’ouvrir l’essence avant de lancer la procédure de démarrage. Je suis fier de moi, elle démarre au bout de quatre ou cinq coup de kick.

Je la laisse chauffer le temps de m’équiper et je reprends la route. Le reste du trajet se passe dans difficulté notoire. Je commence à me sentir à l’aise sur ma moto. Je suis loin d’être ce que l’on appelle un vieux briscard de la route mais il s’installe une sorte d’harmonie entre elle et moi.

Enfin Abidjan. La circulation est fluide et n’est en rien stressante comme celle que j’avais connue en Russie l’année dernière. J’arrive en ville, direction Bietry puis CNDA ou le Collège Notre Dame d’Afrique pour les connaisseurs. Devant le portail j’enlève mon casque, le gardien me reconnais et me laisse passer en me saluant. Je venais simplement de San-Pédro, rien d’extraordinaire en soi, mais au fond de moi je me sentais tel Ulysse rentrant à Ithaque après une épopée légendaire.

Le soir même avec Eric nous quittions la communauté du collège pour aller diner dans un maquis de Port-Bouët. Les maquis sont une sorte de restaurant où l’on mange des spécialités locales comme le poulet braisé, l’alloco, de la banane plantain frite, de l’attiéké, de la semoule de manioc ou des brochettes de poulet le tout en buvant des sucreries, Coca, Fanta ou Sprite ou de la bière locale, Bock ou Mamba. Une particularité de ces maquis est de manger avec les mains sur des tables basses au son d’une musique ivoirienne toujours très présente.

Alors que nous étions attablé je lui raconte mes aventures ou mésaventures. Nous en rigolons, lui aussi me livre ses débuts en mobylette et plus tard en moto. La soirée bat son plein au son du zouk mais l’essentiel est ailleurs. J’avais osé franchir le pas, passer le permis et affronter la piste. J’avais été au-delà de mes peurs et c’est cela que nous fêtions ce soir. Plus rien ne serait comme avant, l’avenir s’ouvrait à moi et mes rêves d’aventures pouvaient enfin devenir réalité.

Les prochains jours allaient être chargés. Eric allait enfin récupérer sa moto après moultes tracasseries douanières et un nouveau coopérant arrivait, un autre Eric.  Deux Eric, cela devenait compliqué. La solution est venue du directeur du collège qui a surnommé le dernier arrivé Digba, ce qui signifie costaud en baoulé, l’ethnie locale. Et oui, ce diminutif s’imposait de lui-même vue que c’était le plus baraqué de nous trois.

Mais la rentrée des classe arriva. Je n’oubliais pas que j’étais ici essentiellement pour enseigner et non pour voyager. Mon quotidien s’organisa progressivement, élaborer mes cours, les dispenser aux élèves et une fois le collège vidé, préparer notre prochain voyage. 

Digba s’était pleinement intégré à notre équipe et lui aussi avait passé son permis moto et acheté la seconde 350 DR à San-Pédro. Mais plus que cela, j’avais lancé une mode chez les coopérants. Passer le permis moto si facile à obtenir pour ensuite le faire valider en France.

Mais ce n’était pas tout, j’avais aussi proposé d’aller à Tombouctou. Je m’attendais à de nombreuses protestations du style, trop loin trop difficile mais contrairement à toute attente, ce fut un oui unanime!

C’était décidé, aux prochaines grandes vacances nous irions à Tombouctou. Facile à dire, beaucoup moins à faire. S’ensuit alors une préparation de haut vol.

Dès la fin des cours, quand le collège se vidait, Eric le seul vrai motard d’entre nous s’occupait de notre formation. Avec la permission du directeur que je ne remercierai jamais assez, nous utilisions les installations sportives pour parfaire notre formation de motard. Enfin, parfaire étant un bien grand mot quand on part de zéro. Parcours lent, maniabilité à faible vitesse, évitement et contrebraquage toutes ces choses qui étaient pour moi simplement inconnues.  Je dois être une des rares personnes à s’entrainer aux exercices du plateau après avoir eu le permis!

J’ai aussi découverts à cette occasion que mes pneus et mon kit chaine étaient loin d’être fameux et que cela était un vrai problème pour voyager. Eric avait anticipé cela en emmenant dans son conteneur toutes les pièces de rechange nécessaires. Mais Digba et moi étions confronté au même problème, trouver pneus et kit chaine.

Commença alors une quête improbable.

La seule solution connue était d’importer de France les pièces, mais cela revenait à accepter la fameuse taxe de 100%. C’est en discutant avec Claude, l’enseignant  qui était venu me chercher à l’aéroport que l’idée a germée. Il faisait venir de France du matériel sous l’appellation « matériel pédagogique » pour simplifier les formalités douanières et éviter les taxes. 

Voilà le filon! C’est alors que je me suis mis à commander auprès de ma famille des pneus et des kit chaines sous l’appellation matériel pédagogique. Rien de plus normal que d’utiliser des Michelin T63 et des kit chaine en cours, non?

Peu importe, cela marchait et nous étions donc prêt à partir pour Tombouctou …

A suivre …

Objectif Balkans

Comme à mon habitude, je me réveille tôt. Seule la respiration régulière d’Arnaud vient troubler la quiétude de la nuit.

Attendre.

Je n’ai rien d’autre à faire.

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