
Jour 3 :
Je me lève plus tôt pour me replonger dans les itinéraires et la météo. Celle si semble moins alarmiste que la veille, mais les prévisions de neige sont toujours là, avec des températures parfois négatives prévues plus tard dans l’après-midi. Je cogite, calcule et recalcule les temps de parcours. Il faut que je me décide.
Je le réveille tôt et nous allons prendre le petit déjeuner avec la carte pour faire le point. Je lui propose de finalement aller à Innsbruck par la route touristique comme prévu, de déjeuner rapidement à Innsbruck et de redescendre sur Trente par l’autoroute, le plus rapidement possible. Il accepte la mort dans l’âme ce compromis.
Tant pis pour la Suisse.
J’avais deux options.
Garder la chambre de l’hôtel et y laisser le matériel de camping et de ne partir qu’avec l’indispensable, ou l’autre, de tout prendre. Finalement j’opte pour la seconde solution. J’aime bien être indépendant, et l’expérience m’a souvent montré qu’en voyage, on ne sait jamais forcément de quoi sera fait le lendemain. Alors autant être complètement libres et autonomes.
Nous chargeons donc la moto et partons le plus prestement possible.
Dans ma tête, commence alors une course contre la montre avec la neige que je veux absolument éviter
Dès le départ, on s’équipe pour la pluie. Il bruine, le plafond est excessivement bas, il semblerait que le ciel soit posé sur la cime des arbres. Autant dire que l’on ne voit rien du paysage.
Nous démarrons. J’ai l’œil rivé sur le thermomètre de la moto. A partir de ce moment, c’est surement l’instrument que j’aurais le plus souvent regardé, bien plus que le tachymètre.
Je vois la température chuter rapidement.
La crainte du verglas s’ajoute à celle de la neige. Nous continuons. Le paysage à l’air superbe, mais rien à faire, nous devinons à peine les massifs montagneux.
Tout d’un coup, Raphaël me fait signe de m’arrêter et me dit qu’il préfère aller le plus rapidement possible à Innsbruck par l’autoroute vu que l’on ne voit rien du paysage.
Au fond de moi, cette décision me soulage. L’autoroute est plus sécurisante vu les conditions météo.
Je reprogramme donc le GPS de mon téléphone mais, allez-donc savoir pourquoi, je laisse l’option autoroute décochée.
Nous voilà donc (re)parti sur la nationale qui serpente dans la vallée. Je mets un certain temps à comprendre mon erreur.
Certains diraient que c’est un acte manqué. Mais bien m’en a pris. Le ciel se débouche progressivement, nous commençons à voir enfin le paysage proche, la pluie s’arrête et la température se stabilise.
La route s’avère nettement plus agréable que l’autoroute. Bref le moral revient. Nous enroulons les virages, l’architecture change progressivement au fur et à mesure que nous progressons dans le Tyrol.
Raphaël retrouve le sourire. L’angoisse de la météo s’estompe et je profite de la route, enchainant les virages. La moto est comme toujours, joueuse. Je retrouve le plaisir de conduire. Il m’en faut peu, la vie est belle.
Nous passons la frontière. Encore une demie heure de route.
Et le miracle se produit. Une trouée de ciel bleu apparait avec, en son centre, majestueux, le soleil
Nous profitons pleinement de la descente sur Innsbruck. Les Dieux de la météo nous ont entendus, qu’ils en soit remerciés.
Arrivé en ville, comme à notre habitude, nous commençons par faire un petit tour en moto pour avoir un aperçu global avant d’aller se poser dans le centre historique. Nous laissons la moto et marchons un peu avant d’entrer dans un piano bar pour déjeuner.

Très bon et copieux repas servi par une jeune autrichienne aussi belle que prévenante. Je laisse Raphaël parler. Il apprend l’allemand au collège. Cela s’appelle une mise en situation.
Il est un peu timide et bafouille au début, mais la serveuse comprends, joue le jeu et, finalement, il va très bien se débrouiller tout seul.
Nous faisons un nouveau point météo.
Le décalage entre les prévisions internet et la réalité m’interpelle. Que dois-je en penser ?
Le temps ne semble pas être à la neige, mais je reste soucieux, la météo en montagne peut être capricieuse et changer très rapidement.
Néanmoins un sentiment positif m’envahie et je propose à Raphaël de tenter la route par la Suisse.
L’expression réjouie qui illumine son visage est la plus belle des récompense et se passe de commentaires
Espérons seulement que les Dieux de la météo continuent de nous rester favorable. Nous repartons donc, avec comme objectif, dormir à Davos, célèbre village suisse. Néanmoins un sentiment positif m’envahie et je propose à Raphaël de tenter la route par la Suisse.
La route de montagne est superbe, nous nous régalons. De grandes courbes à enrouler, une route sèche et en bon état, très peu de circulation.
Mes craintes s’amenuisent au fur et à mesure que nous progressons. Intérieurement je me félicite d’avoir osé cette option.
Lors des road trip à moto, le choix de la route ou de la piste est parfois délicat. Aujourd’hui c’est la météo, mais souvent à l’étranger, c’est l’état de la piste qui me préoccupe.
Quand je demande aux gens sur place dans quel état elle est, si cela passe facilement, il faut toujours relativiser leur réponse. Je crois qu’ils ont tous en tête des images des rallyes raids comme le Dakar et s’imaginent que, parce que nous avons de grosses motos, nous sommes tous des Peterhansel. En ce qui me concerne, loin s’en faut!
Mais une fois de plus je m’égare.
La route défile et arrive enfin la bifurcation pour Davos. Elle est barrée par un mur de neige.
Déception.
Ce coup-ci, c’est sans appel, nous n’y dormirons pas ce soir.
J’aperçois un peu plus loin un dépôt de chasse neige avec des ouvriers en train de nettoyer le matériel. Je vais discuter avec eux. La route est fermée car impraticable. La seule possibilité, sauf à faire demi-tour, est Saint Moritz qui n’est pas très loin.
Ils me préviennent qu’il risque peut-être de neiger cette nuit. Dans ce cas, ils nous conseillent d’attendre midi pour partir le temps qu’ils aient déblayé et salé les routes. Nous voilà donc parti pour Saint Moritz.
A ce moment-là, ce n’est pour moi qu’un point parmi d’autres sur la carte. C’est quand je vois la ville que cela fait tilt dans mon esprit. C’est une station de ski huppée. Je comprends mieux pourquoi les ouvriers m’avaient mis en garde sur le prix des hôtels, car, bien évidement, il n’y a pas de camping ouvert à cette saison.
Nous voilà prévenu. Si quelqu’un en doutait encore, le Palace avec casino qui trône fièrement à l’entrée de la ville donne la tonalité. Le centre-ville est réduit. Je me renseigne pour trouver un hôtel à tarif abordable. Evidemment, durant les vacances d’hiver dans une station de ski mondialement réputée, vous vous doutez que cela va tourner au parcours du combattant, voire au cauchemar.
A chaque fois que nous en trouvons un il est complet. Au fur et à mesure de nos échecs, nous sommes contraint de monter en gamme, voir haut de gamme. Raphaël m’interpelle.
Il me fait remarquer que nos tenues de motos sont immondes après trois jours à rouler sur les routes salées dans des conditions hivernales délicates. Il a peur que l’on ne nous laisse pas rentrer dans des établissement si luxueux et, qu’au final, nous ne trouvons rien.
A vrai dire, cela ne m’avait même pas traversé l’esprit. C’est pourtant une sensation que j’ai souvent connue quand, après une journée de piste, nous étions invités par une famille à entrer dans leur maison impeccablement tenue et ce, malgré le fait que nous soyons couvert de poussière.
Pour l’anecdote, une situation des plus embarrassante nous est arrivés en Jordanie. Notre hôte du jour nous fait entrer chez lui. Comme à l’accoutumé, nous laissons nos bottes sur le pas de la porte. A son invitation nous nous installons par terre sur les tapis.
Il appelle les femmes qui viennent nous servir à boire. Puis arrive une vielle dame qu’il nous présente comme étant sa grand-mère.
Elle passe autour de chacun d’entre nous, nous salue et … nous asperge de parfum
Sur l’instant je me suis liquéfié. J’étais morts de honte. Nous devions dégager une odeur pestilentielle. Je me confonds en excuses maladroites. Son petit-fils traduit et ils éclatent de rire. C’était juste une coutume locale pour souhaiter la bienvenue au voyageur !
Mais, une fois de plus, je m’égare.
Je dit à Raphaël qu’il n’y a pas de honte à avoir, c’est un hôtel dont le rôle premier est d’accueillir les voyageurs (enfin, ça c’est la théorie) et qu’il n’y a aucun soucis. Je me veux rassurant. Nous trouverons un endroit où dormir. Ce n’est pas notre aspect qui les intéresse, juste ma carte bancaire.
Nous finissons par prendre la première chambre de libre, pour la modique somme … « d’un bras et demi »! Contre mauvaise fortune, bon cœur disait ma grand-mère. Alors, au diable les remords et les lamentations, au moins nous profiterons du luxe de l’établissement pour un soir.
Cela me conforte une fois de plus dans l’idée que, quel que soit le voyage, il faut toujours prévoir dans son budget une enveloppe « frais exceptionnels » !
Après une bonne douche et s’être changé, nous descendons prendre l’apéritif dans un salon cosi au coin du feu.

Je ne boude pas mon plaisir après une journée de moto plutôt délicate. C’est aussi la magie des voyages. Il me reste un demi bras pour le repas, alors autant en profiter. En traversant le hall je perçois quelques regards furtifs vers nous. Evidemment, nous n’avons pas la tenue adéquate pour ce genre d’établissement. Mais qu’à cela ne tienne, ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. En tout cas, cela ne me dérange nullement.
Nous reprenons nos activités favorites du soir, itinéraires et météo. Je ne sais plus quoi penser des prévisions météos. Elles nous indiquent toutes de la neige en soirée mais rien ne tombe. Je remets donc toute décision au lendemain. Pour l’instant, allons profiter de la carte du restaurant.
Le soir, une fois dans mon lit, je réfléchit sur le début de notre voyage. Très riche et diversifié en expérience en seulement trois jours.
C’est tous ces moments de vie qui font la magie du voyage
Personne ne l’aura vu, mais c’est avec un air pleinement satisfait que je m’endors ce soir dans un lit King size au confort royal.


Du camping … en plein hiver!
