Tombouctou, nous voici !

20 Juin, nous voici posant pour la traditionnelle photo de départ avec, de gauche à droite, moi, Eric et le second Eric surnommé Digba ce qui, en Baoulé, signifie costaud. Nous sommes fins prêt. Équipement bricolés avec les moyens du bord, motos révisées, kit-chaines et pneus neufs, enfin, ceux de la Honda. Concernant les DR les crampons ont déjà vécu, mais, faute de mieux, nous ferons avec. Mais surtout, nous sommes animés d’une irrésistible envie de tailler la route et de partir à l’aventure. Seul impératif, être de retour pour le 15 septembre, ce qui nous laisse trois mois de vadrouille. Espérons que cela soit suffisant !

Car c’est notre premier périple d’envergure à moto. Nous avons déjà pas mal sillonné la Côte d’Ivoire, mais cela fait figure de balade comparativement à l’objectif prévus : rallier Tombouctou en traversant forêt équatoriale, savane et désert.

Cela peut paraitre simple, mais au début des années 90, internet en est à ses balbutiements et l’information était aussi rare et précieuse que l’eau en plein Sahara.

Point de traces GPX, de vue satellites ou de GPS pour s’orienter, ni même de forums de voyageurs ou de réseaux sociaux pour se documenter. Autant dire que nous ne savons rien de ce qui nous attend. Nous avons en tout et pour tout nos deux cartes Michelin, à la précision plus que limitée, et bien sûr, une boussole.

Si nous connaissons plutôt bien la Côte d’Ivoire, nous ignorons tout du Mali. Aurions-nous assez d’autonomie ? Comment sont les pistes dans le Sahara, s’il y en a ? Aucun d’entre nous n’a jamais conduit de moto dans le sable, comment cela va-t-il se passer ? Nos pneus tiendront-ils la distance ?

Certains diraient inconscience, voir folie, mais parfois, à trop vouloir se préparer et anticiper, on ne fait jamais rien. Mais peu importe les oiseaux de mauvaise augure, à cet instant, rien ne pourra nous arrêter.

Le parcours prévisionnel est simple à défaut d’être direct. Si atteindre Tombouctou est une véritable aventure, nous avons prévu de donner au début de notre voyage une tournure beaucoup plus vacancière. De nombreux amis nous ont invité et nous envisageons une tournée des popotes en bonne et due forme.

Sur la piste des éléphants et des rhinocéros …

C’est Annick qui nous a vendu la réserve d’Aboukouamékro comme un sanctuaire pour les pachydermes et les rhinocéros blancs. Un parfum de Daktari flotte dans l’air. Qui sait si nous rencontrerons Clarence ?

Mais trêve de bavardages, j’entends l’appel de la route. Alors en selle et direction le Nord. Quitter Abidjan est relativement aisé et nous nous trouvons immédiatement en brousse.

Je suis dans mon élément, la route, infinie, s’étend devant moi. La Côte d’Ivoire étant un des pays les plus riches de l’Afrique de l’Ouest avec le Sénégal, elle dispose d’un bon réseau routier bitumé. Y rouler en moto est particulièrement agréable d’autant plus qu’il est rare de croiser une voiture.

Mais rapidement il nous faut attaquer la piste. Heureusement, nous écumons le coin depuis un an et sommes bien rodés. Toujours être vigilant et mesurer sa vitesse car les dangers sont légions, comme ici, un grumier abandonné en fâcheuse posture. Pour la petite histoire, je tiens debout sous le parechoc !

Nous sommes en pays Baoulé. Il y a de nombreuses petites plantations familiales disséminées dans la forêt, souvent assez éloignées des villages. Sur place, une cabane pour stocker quelques outils et les aires de séchages des graines de café ou de cacao.

Dans ce paysage haut en couleur, nous, les petits blancs à moto, sommes l’attraction du jour. Nous sommes souvent interpellés et ne pas s’arrêter serait particulièrement impoli. C’est l’occasion de se reposer et de discuter un peu, enfin, de surtout répondre aux nombreuses questions qui fusent tout azimut. Imaginez. Se déplacer ici est une véritable gageure, alors, ils ne le font que par nécessité, pour commercer, aller voir la famille ou autre. Voyager juste pour le plaisir et la curiosité est complètement incongru et suscite de nombreuses interrogations.

Mais la tradition n’est pas oubliée, les hommes étant aux champs, les femmes nous offrent de l’eau. Et là tout se complique. Nous en ignorons la provenance, puit, rivière ou marigot ? C’est que bilharziose, amibes et autres joyeuseries ne sont jamais très loin et squatteraient avec grand plaisir notre flore intestinale. Digba en sait quelque chose, il est particulièrement accueillant à ce niveau-là ! Mais refuser serait les offenser, aussi, nous jouons le jeu en trempant les lèvres tout en faisant semblant de boire.

Arrive le moment de repartir, car, pour tout dire, notre moyenne horaire frôle le ridicule et il nous reste une longue distance à parcourir. Nous pourrions dire « merci de votre accueil, nous avons été ravi de vous rencontrer. Portez-vous bien, et, qui sait, à une prochaine fois ». Mais cela reviendrait à filer à l’anglaise, spécialité bien connue des habitants de la perfide Albion, ou pire, frôler la goujaterie en leur signifiant de la sorte que nous nous ennuyons en leur compagnie.

Non, nous ne sommes pas comme cela, voyons ! Nous demandons la route comme le veut la coutume locale et, évidemment, elle nous est refusée. Les discussions reprennent un certains temps, nous réitérons notre demande, refusée également. Ce n’est seulement qu’à la troisième tentative qu’elle nous est accordée. C’est leur façon de nous montrer que nous sommes les bienvenus et que nous voir partir les attristes. Autant dire qu’il est nécessaire de largement anticiper le moment du départ !

De nouveau sur nos motos, le sud de la Côte d’Ivoire s’offre à nous, immense forêt tropicale baignée de cours d’eau.

Heureusement, les passerelles plus ou moins branlantes et les bacs sont nombreux et nous traversons rarement à gué.

Une fois les motos chargées, il ne nous reste plus qu’à profiter du paysage.

Nous aussi avons nos rituels. S’abandonner à une sieste réparatrice après le petit déjeuner à l’ombre des fromagers, ces arbres géants partout présents. N’est-ce pas Eric ?

Et comme bien souvent, même perdu au milieu de nulle part, nous ne sommes jamais seul. Pistes et routes sont abondamment fréquentées. Les hommes travaillant aux champs, ce sont les femmes accompagnées des enfants qui vont commercer dans les villages avoisinants et qui parcourent d’énormes distances à pied, leur marchandise sur la tête. 

Enfin nous voilà arrivé à la réserve d’Aboukouamékro où Annick, Patricia, Guillaume et Jean-Marie sont déjà arrivés.

Surprise, il y a là un pensionnaire des plus inattendu : un bébé hippopotame. Qui veut voyager en Afrique doit savoir que malgré leur air débonnaire, ce sont des mammifères très susceptibles et, par dessus tout, redoutablement dangereux. Adultes ils font plus d’une tonne et chaque années tuent plus d’hommes que les lions et autres prédateurs. Aussi, si vous en croisez, gardez vos distances, surtout que leur air pataud est trompeur : ce sont de formidables sprinters ! Si si, je vous assure !

Mais celui-ci semble bien apprivoisé. Fait risette petit hyppo ! Ok mon coco, tu es un peu gluant, pas très envie de te faire un câlin !

Humm, Monsieur serait-il joueur ?

Mais si nous sommes là, c’est aussi pour visiter la réserve. Pour avoir une chance de voir des animaux, il faut partir tôt le matin. Le réveil semble plus dur pour certains que pour d’autres …

Les motos sont laissées de côté pour partir dans un bâché emmené par un guide. Et oui, ce n’est pas un mythique Land, mais un Isuzu, très répandus. Ils sont aussi solides que les Toyota mais bien moins chers. D’ailleurs, il y a un dicton bien connu : si tu veux voyager, roule en Toyota ou Isuzu, si tu veux bricoler, achète un Land !

Mais nous ne sommes pas là pour parler chiffons ou pignons, mais pour traquer les animaux. Il ne reste plus qu’à ouvrir l’œil et le bon …

Si les paysages valent le détour, je suis déçu par la faune. Quelques cobs defassa …

Des buffles, mais pas de rhinocéros. En fait rien d’extraordinaire comparé à ce que j’ai déjà vu dans le parc de la Comoé. Mais je me suis fait une raison depuis longtemps, l’Afrique de l’ouest n’est pas le lieu pour faire des safaris. Cette réserve est artificielle et les animaux y ont été réintroduits pour la grande majorité, ce qui explique leur petit nombre.

Enfin, nous ne sommes pas venus pour rien. Il y a des éléphants, très jeunes, parqués dans leur enclos le temps de s’acclimater avant d’être relâchés en liberté. Même s’ils sont petits, ils sont impressionants. Surtout quand l’un d’entre eux commence à s’agiter, à remuer les oreilles, barrir en menaçant de charger. À ce moment-là, j’espère seulement que la clôture sera assez solide le cas échéant.

De prime abord je suis déçu de ne voir que quelques spécimens en captivité, mais, au fur et à mesure que je les observe, la magie opère. Ces animaux dégagent quelque chose de troublant, à la fois massifs et agiles, dangereux et attendrissants.

Nous n’en recroiserons qu’une seule fois, au Burkina, sur le chemin du retour. Tout un troupeau en liberté avec leurs petits. Nous sommes resté sur nos gardes. Dès que nous les avons vu nous nous sommes arrêtés le plus loin possible et avons attendu patiemment qu’ils traversent la piste avant de passer. Ce fut un moment très émouvant de les voir avancer de leur pas chaloupé, majestueux, tel d’immenses vaisseaux de la savane. Devant de telles forces de la nature, je me sens insignifiant sur ma frêle monture d’acier et de plastique.

Un hébergement insolite …

Mais il est temps de charger les motos et de reprendre la route. Prochaine étape, Nidrou où nous sommes attendu pour une fête rituelle.

A peine parti qu’un des 350 DR tombe en panne sèche. Et ça se dit aventurier, mazette oui ! Manque d’anticipation, pourtant ce n’est pas le carburant qui manque par ici. Il y a toujours la possibilité d’acheter de l’essence en bouteille dans les villages. Heureusement, Eric, avec les 28L de sa Honda, va jouer pour l’occasion au super tanker ravitailleur. Le hic de l’histoire, c’est le gout de l’essence qui reste dans le gobelet !

Sur la piste nous traversons de nombreux carrefours commerciaux. Ici, pas de boutiques, tout se passe à l’air libre sur la place du marché. On y trouve de tout, de quoi manger évidement, mais aussi rebouteux, coiffeurs et même des arracheurs de dents. Comment dire qu’il vaut mieux éviter d’y avoir recours vu l’attirail de pinces et tenailles qu’ils exhibent fièrement !

Pour l’heure, mes quenottes se portent à merveille et c’est tant mieux. Mais la journée touche à sa fin et c’est mon estomac qui commence à se manifester. Ne sachant pas ce que nous trouverons plus tard, nous faisons une halte façon « restauration rapide » : brochettes et attiéké agrémenté d’une bière presque fraiche … elle n’est pas belle la vie ?

La nuit ne va pas tarder et il nous faut trouver où dormir. Nous demandons autour de nous mais ce n’est qu’un carrefour commercial et il n’y a rien ici.

Nous reprenons la route et arrivons dans un gros village. Nous commençons à nous renseigner, sans succès. En dehors des grandes villes, hôtels et Guesthouses sont rarissimes. Mais nous sommes en Afrique. Tout d’un coup, un homme d’un âge mûr arrive et nous demande si c’est bien nous qui cherchons où loger. Il nous explique être le gardien de la concession du Sous-Préfet, momentanément absent avec son épouse. Sa maison est par conséquent libre et nous pouvons y passer la nuit.

C’est ça l’Afrique, oubliez le stress et laissez-vous aider ! Voilà pourquoi il n’y a pas besoin d’hôtels !

J’avoue, celle-là, on ne me l’avait jamais faite ! Mais, enfin, nous ne pouvons pas débarquer comme cela chez un Sous-Préfet, qui plus est, sans son accord ! Nous sommes plus que gênés mais le vieil homme insiste. C’est un honneur. Voilà, l’argument fatal est lâché : recevoir des blancs est un honneur, peu importe que nous soyons poisseux et puant après une journée de moto sur la piste. Plus question de refuser. C’est comme cela que nous nous retrouvons chez le représentant local de l’état. Qui pourrait imaginer cela en France !

Une bonne douche et nous voilà installé dans la chambre de Mr et Mme dans laquelle ils ont rajouté un lit. Même pas besoin de sortir nos moustiquaires, c’est royal.

Alors oui, nous ne voyageons pas avec tentes et duvets, mais avec natte, drap et moustiquaire. En effet, l’autre fléau de l’Afrique de l’Ouest, après les amibes et bactéries infestant l’eau, est la malaria transmise par les moustiques. Si Digba a le tube digestif sensible, Eric, lui, a déjà fait une crise de paludisme. Nous sommes donc très vigilants sur ces deux aspects dans nos voyages.

Mais revenons à nos moutons. Nous sommes sur le point de nous coucher lorsque, soudainement, nous entendons du raffut dans la pièce à côté.

– Hé les gars, nous avons une journée de piste dans les pattes, nous aimerions bien nous reposer tranquillement. Alors, soyez sympa, allez-vous chamailler ailleurs ! OK, nous sommes invités, alors je garde ma tirade pour moi et essaie de m’endormir.

Toc toc, quelqu’un frappe. Décidément, le sort s’acharne !

Nous nous regardons tous les trois dubitatifs.

– Oui ?

La porte s’ouvre et entre un homme, la quarantaine bien frappée.

– Bonsoir, je suis Kouamé Koulibaly.

– Enchanté, et ?

– Je suis le Sous-Préfet.

Oups … Nous nous regardons rapidement l’air déconfit.

– Nous sommes désolé lance Eric l’air abattu, nous vous laissons votre chambre. Nous pouvons allez dormir ailleurs.

– Mais non, pas du tout réplique-t-il. Ma maison est bien assez grande. Nous sommes rentré plus tôt que prévu et je voulais m’assurer que vous ne manquiez de rien. Accepteriez-vous une collation ?

Et poisse.

Nous ne connaissons que trop bien le principe. Il est honoré de notre présence, certes, mais il veut discuter pour en profiter. Nous sommes épuisés, mais qu’à cela ne tienne, nous devons nous plier aux us et coutumes. Nous nous levons, enfilons jeans et tee-shirts histoire d’être à peu près présentable. Nous nous installons à table et il nous propose du bissap tout en entamant la discussion.

Nous devons certainement ressembler à trois statues plantées là pour le décor, acquiesçant d’un hochement de tête, répondant par onomatopées, mais, surtout, luttant férocement contre le sommeil. Les paupières sont de plus en plus lourdes et je sens Digba sombrer petit à petit.

Vite, tout faire pour l’empêcher de ronfler et éviter ainsi l’humiliation suprême. Discrètement, je lui balance un coup de pied sous la table provoquant un ultime sursaut. Ouf, nous l’avons échappé belle sur ce coup-là. Notre hôte comprend alors la situation et abrège notre calvaire en nous souhaitant bonne nuit. Nous le remercions chaleureusement. Dois-je préciser que ce soir-là nous ne ferons pas long feu ?

Comme souvent, nous sommes réveillés tôt le matin par le remue-ménage dans la cours. Nous sommes accueilli par Kouamé et sa femme qui nous invitent pour le petit déjeuner. Café et riz gras, c’est-à-dire les restes du repas de la veille. Rien de tel pour faire le plein d’énergie nécessaire pour affronter une nouvelle journée de route.

Toutes les bonnes choses ayant une fin, nous finissons par demander la route, et, un certains plus tard, nous pouvons enfin charger les motos et partir. C’est que nous sommes attendus à Nidrou, il ne nous faudrait pas être en retard.

Nous quittons le pays Baoulé pour entrer en territoire Guéré. La piste est roulante, sans problème majeur et le soleil est au rendez-vous. Une belle journée de moto se profile à l’horizon. Ah oui, j’oubliais, ici la question de la météo ne se pose pas, enfin, pas comme chez nous.

Vous prendrez bien un bain de boue ?

Mais en voyage, jamais rien ne se passe comme prévu. Car si le soleil est au beau fixe, nous sommes en pleine saison des pluies. Comme pour bien faire, nous arrivons sur un immense chantier dédié à la construction d’un nouveau pont pour enjamber la Sassandra. Et là, stupeur, ce n’est plus une piste, mais un bourbier géant dans lequel gît un camion de chantier englué jusqu’au châssis.

Aïe, l’avertissement est à prendre au sérieux. Cela ressemble plus à une zone marécageuse où la profondeur par endroit est telle que nos motos pourraient être littéralement englouties !

Nous nous arrêtons et regardons comment contourner le problème. La forêt est trop dense et impraticable en moto.

Nous sommes donc confronté à un double problème : tout d’abord, passer ce bourbier et, ensuite, traverser la Sassandra qui, pour information, est un large fleuve infranchissable à gué. Or, s’ils construisent un nouveau pont, qu’en est-il de l’ancien ? Est-il encore praticable ? Si ce n’est le cas, d’après la carte, il nous faudra faire un détour d’une centaine de kilomètres et jamais nous ne serons à temps à Nidrou.

C’est alors que des villageois arrivent.

Une fois les présentations faites et avoir pris des nouvelles de la famille (ah oui, nous ne nous connaissons pas, mais c’est la coutume), nous apprenons que l’ancien pont est très délabré, impraticable pour les camions, mais, pour les motos, il n’y a pas de soucis. La nouvelle est plutôt encourageante même si je ne suis qu’à moitié rassuré. Pour eux la notion de moto est plutôt vague et leur référence est avant tout l’emblématique mobylette bleue !

Excès de précaution ne nuisant pas, nous allons voir à pied l’état du vénérable pont. Effectivement, cela passera sans difficulté.

Reste donc à traverser ce bourbier.

Les jeunes du village nous proposent spontanément leur aide. Ils peuvent porter les motos de l’autre côté. Négociation du tarif, et là, stupéfaction, la somme demandée est exorbitante. Je conçois que tout travail mérite salaire, mais il ne faut pas confondre blancs en moto avec pigeons voyageurs ! Surtout qu’en tant que coopérants pour une ONG, nous sommes logés nourris et blanchis (le comble pour un toubab !), mais en contrepartie notre salaire est des plus minimaliste. Nous ne pouvons bourlinguer qu’en vivant chichement, l’essentiel de notre budget finissant dans les réservoirs.

Nous nous concertons et décidons de porter les motos nous-même. Je ne peux m’empêcher de repenser à la croisière jaune où les autochenilles Citroën avaient été entièrement démontées pour pouvoir emprunter certains passages. Vu nos compétences mécaniques, j’espère que nous n’en arriverons pas à de telles extrémités.

Nous déchargeons alors les motos et nous nous mettons à l’œuvre. Les douze travaux d’Hercule, ou, sans être chauvin, d’Astérix, devaient certainement être de la rigolade à côté de ce qui nous attend.

Quoi, j’exagère ? Oui, bon, je suis du sud, disons que je n’ai pas signé pour faire du terrassement ! Ceci dit, quand c’est l’heure, il faut y aller. Nous poussons les bécanes, les trainons, les portons et, lorsque cela devient enfin possible, les faisons rouler, tout cela sous les cris et acclamations des villageois.

C’est aussi cela l’Afrique, une ambiance souvent bon enfant, voir festive. Plus de deux heures pour effectuer deux ou trois cent mètres, notre moyenne horaire va encore battre des records.

Mais l’essentiel est ailleurs. Nous sommes finalement passés sous les vivats de la foule. C’est à ce moment qu’une idée complètement folle a surgie de mon esprit torturé. Casque en main, je passe parmi les spectateurs, réclamant quelques piécettes pour avoir assuré le spectacle. Comment dire, à leurs yeux éberlués j’ai vite compris : le flop est retentissant. Ce fut le glas de ma carrière de show man, définitivement enterrée dans les boues de la Sassandra.

Mais l’aventure continue, nous pouvons encore arriver avant la nuit à Nidrou. Nous accélérons le rythme d’autant plus que la tôle ondulée nous incite naturellement à rouler vite. Autant l’avouer tout de suite, je ne suis pas à mon aise. Foncer à 80 – 90 km/h sur un sol sans adhérence avec une moto à l’empattement court, légère et peu stable est n’est pas rassurant du tout. Cela bouge dans tous les sens et le moindre imprévu peut être fatal.  Mais nous n’avons pas le choix, rouler moins vite sur ce type de terrain serait bien pire, prendre le risque de voir les motos se disloquer sous l’effet dévastateur des vibrations.

Rester concentrer, anticiper et serrer les fesses, voilà le programme.

Enfin la piste se rétrécie et devient plus tortueuse. La tôle ondulée disparait et avec elle, le stress. Nous maintenons un rythme soutenu malgré tout et le plaisir de rouler reprend le dessus. Pourtant, je ne me sens pas totalement à l’aise. Ça y est, j’ai compris. Je suis engoncé dans une sorte de carcan de boue séchée, reliquat de nos  travaux herculéens précédents.

Mais comme toujours, il n’y a pas de problèmes, uniquement des solutions. C’est en croisant des femmes lavant leur linge à la rivière que cela a fait tilt. Nous roulons encore un peu et nous nous arrêtons. Tout le monde à poil, nous prenons nos frusques maculées de boue et à la baille ! Que cela fait du bien, c’est non seulement rafraichissant, mais après un brin de toilette nous retrouvons enfin apparence humaine.

Pas le temps de nous prélasser, nous avons encore de la route. Nous nous rhabillons et, comme toujours, nous séchons en roulant. Enfin, nous voici à Nidrou où nous sommes accueilli par Souki, Koulibaly, Thierry et Guillaume, deux autres coopérants venu nous rejoindre pour l’occasion.

Où nous devenons citoyens d’honneur d’un village

À ce stade de l’histoire, quelques précisions s’imposent. Pourquoi sommes-nous invités ici ? Il vous faut savoir qu’Éric a une tante qui a connu un ivoirien sur les bancs de la faculté de pharmacie de Rennes. Une fois leur diplôme en poche, il se sont mariés et sont retournés à Abidjan ouvrir une officine. Autrement dit, il a de la famille ivoirienne et, vous vous en seriez douté, originaire de Nidrou.

Or, pour financer de longues et couteuses études en France, il ne peut s’agir que de notables du village. Ceci explique pourquoi nous sommes reçus en grandes pompes pour la fête annuelle qui se prépare. Souki et Koulibaly sont des neveux, cousins, oncles, bref, je n’ai pas tout compris, sauf que c’est la famille. Et la famille, c’est sacré !

La cérémonie, car je ne vois pas d’autre terme tellement tout cela semble parfaitement codifié, débute le soir même. Nous sommes reçus sous l’apatam du village par le chef et la noblesse locale appelée ici, les anciens.

Tout débute par un discourt officiel où ils expriment, entre autre, leur fierté de nous recevoir. Par la même occasion, nous sommes fait citoyens d’honneur du village et nous nous voyons offrir des boubous traditionnels en guise de cadeau. S’ensuit la traditionnelle séance photographique. Remarquez ici le cadrage « à l’africaine ». Il s’en est manqué de peu que seul le néon soit visible sur le cliché, le chef ayant frôlé de peu la décapitation !

Nous sommes ensuite invités à nous installer avec tous les notables et leurs femmes, le reste du village, massé à l’extérieur, profite du spectacle sans pouvoir y participer pour autant.

Et là, l’épreuve commence, car tout à un prix dans ce bas monde.

Chaque personne importante de la communauté défile, y va de son petit discours de bienvenue mais, surtout, offre un jerrycan de bangui. Oui, vous avez bien lu, pas une bouteille, ni un magnum, non, un jerrycan ! Sachant que le bangui est du vin de palme, à raison de 10 ou 20L chacun, la soirée s’annonce chaude … et l’état des troupes à la fin plus qu’incertain.

Car à la base, le bangui est de la sève de palmier. Quand il est fraichement récolté, il est doux et sucré. Plus il est vieux, plus il est fermenté, et plus il est alcoolisé.

La personne qui offre le verse dans une calebasse qui passe de main en main à chaque convive de l’assemblée. Heureusement, sinon c’est ivre mort et pitoyablement étendu sur le sol que nous aurions finis, ruinant de facto notre réputation d’intrépides aventuriers. Car il faut savoir qu’ils se font un devoir de tenir l’alcool qui, évidement, se doit d’être le plus fort possible. C’est comme pour le Pastis, ils le boivent … pur, sans eau. Eh bien oui, c’est pour les hommes, les vrais quoi !

J’ai cru ne jamais en voir la fin. Mais c’ést loin d’être terminé, car une fois les hectolitres de breuvages écoulés, quand les esprits commencent à s’échauffer et les yeux se dilater, la musique arrive et tout le monde se met à danser, plus exactement, à « libérer » zouglou comme ils disent. Et il faut le reconnaitre, ils ont le rythme dans la peau. Danser, bouger gracieusement leur corps au son des tam-tams est une seconde, voir première nature pour eux. Les djembés sont déchainés, les gens chantent, tapent des mains, l’ambiance est électrique. Nous sommes évidemment invités à participer. Le contraste est saisissant, nous sommes raides et à contretemps. Heureusement que le ridicule ne tue pas sinon je serais à dix mille lieux sous terre !

Le moment est inoubliable, au diable les convenances et les faux semblants, je profite juste de ce moment de liesse.

C’est fourbu et l’esprit embrumé que je vais me coucher, mais des souvenirs à jamais gravés dans ma mémoire.

La nuit sera courte mais, j’espère, réparatrice, car demain les festivités continuent.

Réveil difficile, bouche pâteuse, idées brouillées …

Je déambule dans le village, ici une mère nattant les cheveux de sa fille …

Et là les femmes en train de jouer, fait rarissime. Mais aujourd’hui étant jour de fête, personne ne travaille.

Je dois me hâter, les choses sérieuses commencent bientôt.

Le tournoi de lutte traditionnelle, avec, ici au centre, casquette jaune vissée sur la tête, le champion en titre entouré de ses prétendants. Ils nous expliquent les règles, et, étant maintenant membres à part entière du village, nous sommes invités à participer. Oui, enfin, comment vous dire, vu nos carrures, nous nous sommes abstenus !

Que la fête commence ! Les percussions ouvrent la danse, tout le monde chante et tape des mains.

Les différents prétendants au titre et leur supporteurs font un tour d’honneur.

Et les affrontements peuvent débuter.

Les grigris sont de sortie pour protéger les champions du mauvais œil.

Tous les spectateurs sont concentrés, les chicotteurs avec leur badine sont prêt à intervenir au moindre débordement de foule qui sont immanquablement très fréquents.

Le suspense est à son comble …

Et lorsqu’un champion remporte le duel, toutes ses supportrices envahissent la piste pour fêter sa victoire.

Cela dure de longues heures sous un soleil implacable et dans la poussière. Mais peu importe, les cris de joie fusent de partout. Le tournoi touche à sa fin, tout le monde envahi alors la piste pour l’ultime parade toujours au rythme des percussions. Incontestablement, ils ont le sens de la fête !

Après des tonnes de poussière avalées, les gorges sont rincées avec des litres de bangui. Il faut bien fêter dignement le champion incontesté et invaincu depuis trois ans !

Comment dire, après une telle journée, le réveil fut particulièrement difficile. Mais pas question de se laisser aller, un jogging matinal et ça repart, enfin, ça c’est pour Eric. De mon côté, je suis resté bien tranquille à l’ombre !

Nous resterons encore quelques jour à Nidrou avant de reprendre la route. Nous en moto, les autres en 4L, la voiture passe partout.

Nouvelle destination : Man en pays Dioula, la porte à côté, à une encablure réalisée sans difficulté aucune.

Nous sommes hébergés à la mission catholique, non que nous sommes fervents pratiquants, mais parce que c’est le Airbnb de l’époque. Il y en a partout en Afrique de l’ouest, même en territoire musulman.

Leur hospitalité est irréprochable, et, qui plus est, ils sont équipés de radio ondes courtes, le graal de la communication de l’époque. Cerise sur le gâteau, leur implantation locale fait qu’ils connaissent tous les bons plans du coin et ont de nombreux contacts dans les villages environnants.

C’est idéal pour nous qui voulons découvrir une région, d’autant plus que le prix de l’hébergement est vraiment mesuré et, souvent, il nous est même offert. Une sorte d’oasis pour les aventuriers en herbe que nous sommes.

Et là, par chance, il y a un missionnaire qui a parcouru la presque totalité de l’Afrique avec son 125 XL et qui se propose de nous accompagner pour nous faire découvrir la région. Ils ont même une autre 125 disponible à la mission.

L’occasion est inespérée. Nous laissons les bagages sur place et partons en exploration à cinq motos ! Patricia, Souki et Thierry restent sur Man, la 4L étant trop limitée pour les contrées où nous nous aventurons.

Le bitume est vite abandonné.

Pour attaquer des pistes de plus en plus défoncées.

Petite, tu t’appelleras « le jour où les blancs sont venus nombreux en moto » …

C’est là qu’Alain, notre missionnaire de guide, nous propose d’explorer une piste qu’il ne connait pas. Croyez-vous que nous avons hésitez ? Et comment que nous sommes partant !

Nous n’avons pas été déçu, croyez-moi ! Je commençais à avoir l’expérience de la conduite hors bitume, mais là, pour la première fois, rouler devient difficile tellement la piste est défoncée. Elle est couverte de trous dont certains sont énormes. Cela me rappelle ces images de guerre où des routes bombardées sont jonchées de cratères béants.

Comment est-ce possible ?

Les larges pistes de latérite ont été construite durant la période coloniale afin que les camions récupérant les récoltes puissent accéder aux plantations de café, cacao et coton. Le passage régulier de poids-lourds surchargés sous les pluies violentes de la mousson les détériore très rapidement. Elles nécessitent un entretien régulier qui est de moins en moins effectué faute de moyens financiers. Certains coins trop reculés, comportant surtout de petites exploitations, deviennent de moins en moins rentables et sont inexorablement abandonnés. Les pistes retournent alors rapidement à l’état sauvage. (Si vous voulez avoir une idée de ce que cela peut donner dans des cas extrêmes, regardez ici)

Comme il n’y a plus d’engins de chantier pour effectuer les travaux de réfection, les villageois font ce qu’ils peuvent pour boucher les trous et ornières avec les moyens du bord. Ils les remplissent de cailloux, morceaux de bois ou de ferraille, nous avons même trouvé un sommier métallique !

Si cela est relativement efficace pour stabiliser une roue de bâché ou de camion, en moto, ce sont de vrais pièges. Pour mal faire, nous sommes à la saison des pluies et nombres d’entre eux sont noyés nous obligeant à les sonder un à un si nous ne pouvons pas les contourner. Vous commencez à nous connaitre, une fois de plus, notre moyenne horaire est pitoyable !

Enfin un village en ligne de mire, nous ne sommes pas complètement perdus. Nous nous approchons, voyons des enfants arriver … tourner les talons et repartir illico presto en hurlant. Quelques secondes plus tard, les hommes débarquent machette à la main …

Nous ne sommes qu’à moitié rassurés.

Ils se plantent devant nous. Nous coupons les moteurs et enlevons les casques. Tout le monde s’observe. Une âpre discussion est lancé dans le camp adverse et, finalement, ils viennent nous saluer.

La tension retombe d’un coup.

Dans la conversation, nous apprenons que cela fait une dizaine d’année qu’aucun blanc n’est pas passé ici et encore moins en moto. Les plus jeunes ont juste eu peur.

Le malentendu levé, nous sommes invité au village où nous sommes accueilli par le chef installé sous l’arbre à palabre. Après nous avoir offert de l’eau et fait longuement les présentations, il nous enjoint à visiter les lieux.

C’est un rituel auquel nous sommes maintenant bien rodé, mais aujourd’hui l’atmosphère est différente. Les plus jeunes, d’habitude enjoués, nous épient ici du coin de l’œil, pendus aux basques de leurs mères. Les regards sont osculateurs, entre curiosité, étonnement et interrogation. Les plus téméraires s’approchent et nous prennent par la main. Eric, avec sa chevelure rousse, est la curiosité du jour. Il y a même une petite fille qui lui gratte la peau pour vérifier, si, sous ce blanc couvert de taches de rousseur, n’apparaitrait pas la vraie couleur, le noir évidemment !

Le village n’est pas très grand et plutôt pauvre, sans eau courante ni électricité. Je comprends mieux maintenant la frayeurs des enfants. Il n’y a ni télévision ni mobylettes, juste quelques vélos. Le village est vraiment perdu et ils n’ont certainement jamais vu de motos. Ils ont dû avoir la trouille de leur vie, pensant voir des démons débarquer chez eux. C’est d’ailleurs un des rares villages rencontrés où les plus jeunes ne parlent pas français, signe de leur isolement.

Nombre de cases sont de conception traditionnelles …

Alors que d’autres fleurent bon la modernité …

L’après-midi est bien avancée et le chef nous offre le gîte et le couvert pour la nuit. Il ont même organisée une fête ce soir en notre honneur.

Nous ne pouvons refuser et, de toute façon, cela tombe à pic car il est tard et n’avons aucune idée de l’état de la piste qui nous reste à faire. Demain sera un autre jour et nous aviserons.

Pour l’instant, profitons de l’hospitalité si généreusement offerte même si nous sommes pris de cours et un peu gêné.

Nous savons que dans les villages les plus pauvres, nourrir cinq adultes blancs peut signifier qu’une dizaine de gamin n’auront rien ou pas grand-chose à se mettre sous la dent ce soir. D’habitude, nous avons toujours quelques kilos de riz à offrir, mais là, nous sommes les mains vides, parti sans bagages pour la journée.

Et pour dormir me direz-vous ? Aucun soucis, nous avons l’habitude : une natte par terre sous la moustiquaire fera l’affaire.

Je me renseigne sur l’origine de l’eau. Ils ont un puit, c’est parfait, cela devrait donc aller. Nous sommes très attentifs à ce que nous buvons, surtout Digba qui est particulièrement sensible. Il est déjà resté plusieurs jours à vomir tripes et boyaux au fin fond de la brousse.

A cette occasion, quand je leur ai demandé comment faisaient-ils pour résister, la réponse fut des plus fataliste : si tu es vivant, c’est que tu peux en boire. Sous-entendu, les plus faibles et fragiles sont déjà morts. La sélection naturelle est toujours bien présente contrairement à chez nous.

Mon expérience africaine est celle qui m’a le plus transformé. J’avais déjà pas mal voyagé, mais toujours en Europe. Or, de la Méditerranée à l’Oural, globalement notre système de pensée est le même. Nous cherchons à anticiper difficultés et solutions, et, le cas échéants, nous nous attachons à éradiquer les problèmes.

Ici, c’est l’opposé. Tout le monde vit au jour le jour. Si une complication surgit, ils l’acceptent et s’adaptent. Leur rapport à la vie et à la mort, au corps et au sexe et bien d’autres domaines sont radicalement différents de notre culture occidentale. Cela peut être source d’incompréhension ou d’enrichissement. J’ai souvent entendu parler des peuples africains comme arriérés ou autre, mais j’y ai surtout trouvé une humanité et une philosophie de vie dont nous aurions beaucoup à apprendre.

Mais l’heure n’est pas à la dialectique mais à se sustenter ! Au menu de ce soir, riz, sauce arachide (nous avons échappé à la sauce gombo !) et viande de brousse. Certainement de l’agouti, une sorte de gros rongeur, lointain et exotique cousin du ragondin. Mais peu importe, derrière ce vocable se cache tout type de viande, du singe … au chien ! Elle est souvent faisandée et archi cuite si bien qu’il n’en reste plus aucun gout caractéristique permettant d’en identifier l’origine. Et c’est tant mieux !

Une fois les estomacs repus, la fête peut commencer, enfin, une fois terminé l’inévitable discours du chef. Nous apprenons qu’il y a quelques jours, est née une fillette qu’ils appelleront : « le jour où les blancs sont venus nombreux en moto ». Petite, je ne te connais pas, mais j’espère sincèrement que ce n’est que pure flatterie à notre égard. Je serais fort marri que tu sois affublée d’un tel patronyme à cause de nous.

Ainsi va la vie.

Enfin, le temps des djembés, des chants et des danses arrive ! Une fois de plus, ce sera tard dans la nuit que nous nous coucherons, fourbus mais heureux d’avoir partagé ce moment tous ensemble.

Après un rapide mais copieux petit-déjeuner et la route accordée, nous nous remettons en route. La piste, au début délicate, s’améliore rapidement. Nous apprécions de retrouver la latérite bien damée qui nous ramène sans encombre à Man.

Rencontre avec l’Afrique des esprits magiques …

La mission catholique étant toujours bien informée, nous apprenons qu’une fête se prépare dans un village Yacouba et que nous pourrons y découvrir des masques. Ce ne sont pas uniquement de simples objets, mais ils représentent aussi une fonction sacrée assurée par des initiés. Historiquement, ils organisent la vie sociale et religieuse des différents peuples. Le pays compte une soixantaine d’ethnie, chacune ayant ses propres masques.

Alors oui, c’est vrai, aujourd’hui à l’ère du christianisme et de l’islam, ils sont relégués essentiellement au folklore local même si de nombreuses légendes courent encore à leur sujet.

Néanmoins, cela fait partie du patrimoine ivoirien et c’est une occasion unique d’en savoir un peu plus sur les croyances passées de ces peuples.

Nous voici reparti une fois de plus dans l’épaisse forêt couvrant les montagnes environnantes.

Et arrivent les premiers villages …

Celui-ci est plutôt grand et développé, comportant peu de cases traditionnelles.

Comme toujours, nous sommes accueilli par une nuée d’enfants.

Par politesse et respect des traditions, nous allons saluer les notables qui ne résistent pas à poser. Ils nous invitent alors à visiter leur village.

Toujours sous bonne escorte !

La logique de l’urbanisme m’échappe, mais peu importe. Tout le monde insiste pour nous inviter …

Chacun y allant de son petit numéro …

Les femmes esquissent quelques pas de danse tout en travaillant …

Enfin, pas toutes. Celle-ci est très fière de poser dans son jardin de roses « à la française » comme elle a tenu à nous expliquer.

Le temps passe et nous voudrions reprendre la route. C’est toujours un moment difficile. Voyager en Afrique est particulier et demande beaucoup de temps. Impensable de traverser un village comme des sauvages sans s’arrêter. Et là, cela n’en finit plus. Nous pourrions y passer la journée … ou la semaine.

C’est que la conception du temps dans leur culture est diamétralement opposée à la nôtre. D’ailleurs, dans leurs dialectes, ils n’ont pas de mots pour mesurer le temps, comme montre, heures ou minutes.

Nous, les occidentaux, toujours dans l’anticipation et la prévision, nous quantifions le temps pour organiser nos journées et gagner en productivité. Durant nos voyages, nous estimons le délais nécessaire pour aller à un endroit, celui pour visiter, ou pour toute autre activité. L’objectif étant de toujours en faire plus sur la durée la plus courte possible.

Ici, tout est différent. Les africains vivent l’instant présent. Le temps est celui de la vie, de ce qui advient. Des étrangers arrivent, il faut savoir en profiter, les accueillir comme il se doit et partager avec eux un moment de vie, que ce soit des émotions, des idées ou autres. Peu importe que cela dure une heure ou une journée. Ils laisseront là leurs occupations et prendront le temps nécessaire.

Au début ce fut difficile. Arrivés dans un village, ils nous offraient à boire, puis venaient les interminables discussions et je voyais l’heure tourner inexorablement, me disant que jamais nous ne pourrions tenir notre planning.

Cela me stressait et m’empêchait de vivre pleinement l’instant présent. Avec le temps, nous nous sommes adaptés. Aujourd’hui, nous vivons au jour le jour et avons relégué le mot planning aux oubliettes. Nous arriverons ce soir, ou demain, peut-être, qui sait ? Ceci explique que nous n’ayons fait que 7000 km en trois mois !

Mais aujourd’hui c’est différents, nous voudrions assister à une fête, alors il ne nous faut pas trop tarder.

Enfin nous reprenons la route et finissons par arriver chez les Yacouba où nous retrouvons Jean Batiste, un coopérant de Bouaké sillonnant la Côte d’Ivoire sur sa Honda 250 XL.

Comme toujours, les festivités commencent au rythme des tambours et des chants.

Le griot du village, promu maitre de cérémonie pour l’occasion, présente un à un les différents masques et raconte une anecdote ou une légende à leurs sujets.

La personne sous le costume est un initié dont l’identité est tenue secrète. Ils sont accompagnés d’assistants.

Certains sont juste époustouflants. C’est un spectacle d’art vivant.

Chacun a une gestuelle propre à sa fonction, toujours en dansant et accompagnés de grigris.

Nous sommes à la saison des pluies, il fait chaud et humide. Après leur prestation, épuisés sous leur carapace de feuillages et de tissus, ils s’allongent pour que leurs assistants puissent les ventiler.

Traditionnellement, ils interviennent aussi dans certains rituels magiques, comme la construction des ponts de lianes qui, celons la tradition, sont construit en une seule nuit par des génies invoqués par les initiés.

Le défilé est interminable et les villageois infatigables quand il s’agit de danser.

La fête dure ainsi toute la journée. Après les dernières embrassades, il est temps de reprendre la route pour rentrer à Man.

Ah, si, un dernier petit détail technique à résoudre. Le tourisme mis à par, notre objectif est daller à Tombouctou, et, pour cela, il nous faut un visa pour entrer au Mali. Qu’à cela ne tienne, nous nous rendons au consulat afin d’obtenir le précieux sésame.

L’or de la misère ...

Nous quittons maintenant le sud de la Côte d’Ivoire pour rallier Odienné, en pays Malinké où nous sommes reçus dans la villa de coopérants.

Nous ne sommes pas les seuls invités. Il y a là aussi un couple de Bretons descendus en 4×4. Ils ont traversé la frontière Maroc – Mauritanie.

Banal pensez-vous, mais pas du tout !

Cette frontière terrestre est en zone militaire, officiellement interdite et minée du fait de la guerre entre le Maroc et le front Polisario. La traverser est donc une entreprise périlleuse.

Nous sommes vraiment très intéressé puisque nous voudrions faire le trajet retour Abidjan – France en moto sur la piste du célèbre rallye Paris Dakar, ce qui nous obligera à passer par là.

La discussion est riche d’informations. Ils l’ont franchi clandestinement avec l’aide d’un passeur. Et, justement, ils nous donnent le nom d’une française à Nouadhibou qui pourra nous mettre en relation avec les bonnes personnes.

Nous n’avons ni adresse ni numéro de téléphone, simplement un nom et une ville ce qui est déjà inespéré ! Mais cette future aventure fera l’objet d’un autre récit. Pour l’instant, notre objectif reste la mythique Tombouctou. Chaque chose en son temps.

Pour l’heure, la bière coule à flot et les échanges autour de nos différents voyages vont bons trains. La vie comme je l’aime en quelque sorte …

Mais pour le moment, toujours à sillonner le pays en mode touriste, le programme du jour est la visite des mines d’or à seulement une encablure d’ici. La route est bonne et une fois n’est pas coutume, la 4L sera de la partie !

Le site n’est pas particulièrement impressionnant en soi, une sorte de gruyère géant avec des trous et monticules de terres anarchiquement répartis. Rien d’extraordinaire, et ce n’est pas cela qui m’interpelle.

Nous avons rencontré la pauvreté dans nombre de villages, mais ici, un pallier est franchi : là c’est l’extrême misère. Comment appeler quelques bouts de bois surmontés d’une bâche trouée un abris ?

Et pourtant, malgré cela, les enfants sont tout sourire. Tiens, un singe motard ?

Ou un petit chapardeur ?

Un fin gourmet, ou les trois à la fois, qui sait …

Nous ne le saurons jamais. Néanmoins, nous sommes toujours aussi chaleureusement accueilli et les occupants des lieux nous expliquent le travail de la mine. Les hommes creusent à la pelle et à la pioche des trous sans aucunes protections ni matériel pour étayer les galeries. Les effondrements et accidents sont légions, surtout à cette saison des pluies.

Une fois la roche aurifère extraite, ce sont les femmes qui prennent le relais. Dans leur mortiers, elles concassent les cailloux pour les réduire en sable fin. Pour avoir essayé, je vous garantis que les pilons d’acier sont particulièrement lourds et que ce travail est éreintant. Rien avoir avec piler du manioc ! Faire cela à longueur de journée est juste inhumain.

Le sable fin (ici à droite dans la bassine) est ensuite nettoyé dans une calebasse …

Pour en extraire quelques paillettes d’or (en haut) qui iront enrichir le propriétaire de la mine, en aucun cas ceux qui l’ont extrait. La dure réalité du capitalisme.

De retour chez les coopérants, c’est la tuile. Les pneus arrières des DR sont plus que limés et ne tiendront pas le reste du voyage. Et ici, c’est une denrée rare et chère, si bien qu’il est usuel de voir des voitures sur lesquelles des bandes de caoutchouc sont recousues quand la toile apparait. J’aimerai juste ne pas en arriver à une telle extrémité. La débrouille africaine a ses vertus, mais aussi ses limites !

Les coopérant connaissent bien Odienné, qui est quand même le chef-lieu du coin. Ils nous emmènent en ville à la recherche des précieuses gommes. Nous en trouvons bien, mais pas du tout dans les bonnes dimensions. C’est le problème de nos motos, elles sont trop rares ici, il faut faire venir toutes les pièces de France. Mais là, nous n’avons ni le temps, ni les finances.

Discussion, consternation et … solution !

C’est un vulcanisateur qui va nous sauver. Il sait ou trouver des pneus chinois qui, selon ses dires, ont la taille requise. Il prend sa mobylette nous laissant poireauter ainsi dans l’angoisse la plus totale. il revient une demi-heure plus tard avec deux pneus typés cross sanglés à l’arrière.

C’est le plus grand que j’ai trouvé nous annonce-t-il. Oui, mais c’est du 17″, nos jantes, elles, sont en 18″. Pas de soucis, nous assure-t-il, les gommes sont tendres et extensibles. Ben voyons !

Aussitôt dit, aussitôt fait, la moto est montée sur un pont fabrication maison et la roue est démontée en un rien de temps.

Aux amoureux de la mécanique et aux tatillons ne supportant pas la moindre rayure sur leur moto, oubliez le bricolo du coin. Il n’a pas de clé de 13, peu importe. Une de 15 avec un bon coup de marteau sur le nez fera l’affaire. Pour l’occasion, il utilise des démonte-pneus camionnesques et sue sang et eau pour monter les nouveaux pneus, et ce, sans ménagement aucun pour les jantes, vous vous en doutez ! Mais il faut savoir ce que l’on veut et, ces quelques broutilles mises à part, le boulot est parfait, même l’axe de roue nettoyé est lubrifié à l’huile de vidange. Si j’étais tatillon je pourrais noter qu’il ne m’a pas demandé les couples de serrage. De toute façon, je doute qu’il y ait une clé dynamométrique à 100 lieux à la ronde ! Peu importe, c’est pour l’heure au tour de celle de Digba de subir le même châtiment.

Maintenant, il nous faudra éviter de crever sur la piste, car je nous imagine mal changer une chambre à air dans ces conditions.

Alors, ces pneus chinois à gomme tendre, ils donnent quoi ? Et bien, ils ont le mérite d’exister, mais il faut rester très doux sur la poignée de gaz sous peine … de voir les crampons rester sur le bitume !

OK, j’entends certains ricaner dans leur barbe grisonnante : ah les boulets, partir à l’aventure avec des pneus usés. Si Eric avait fait venir sa moto de France par container avec des pièces et des pneus de rechange, pour nous qui les avions acheté sur place, nous n’avions rien. Nous avions bien l’astuce du matériel pédagogique pour les plaquettes, kit-chaines et autres articles de faibles dimensions, mais les pneus étaient trop volumineux pour être envoyés par la poste à prix raisonnables. Ce sera d’ailleurs LA quête de l’année 1994 en prévision de notre retour en France en moto. Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, notre ambition est plus limitée, arriver à Tombouctou … et accessoirement, rentrer à Abidjan sains et saufs !

Mais peu importe, il a sauvé notre voyage et nous allons fêter cela autour d’une Mamba bien fraiche dans un petit maquis du coin.

En route pour l’Aventure, la vraie : direction, le Mali …

Enfin, aventure, restons modeste, rien à voir avec celle de René Caillé.

Ce coup-ci, fini les vacances et le tourisme, les choses sérieuses commencent. Odienné est notre dernière étape ivoirienne. C’est en quelques sortes comme si nous quittions enfin la maison. Ce soir nous dormirons au Mali.

Patricia, coopérante dans un dispensaire près de Yamoussoukro, nous accompagnera. Elle a elle aussi succombé aux voyages en moto, a passé son permis mais n’a toujours pas trouvé la monture de ses rêves. Nous serons donc quatre sur trois moto. Ce sera à tour de rôle que nous prendrons place à l’arrière de la Honda 600 XLLM d’Éric, des trois, la monture la plus adaptée au duo.

Après quelques arrêts inévitables, l’après-midi bat son plein et la frontière se rapproche à grand pas.

Oui mais, vous vous en doutez, rien ne se passe jamais comme prévu !

Une malencontreuse chute et voilà que mon levier d’embrayage casse net, à ras de l’axe.

Poisse.

C’est vrai que nous ne tombons pas souvent, non pas que nous sommes bons, mais disons qu’en Côte d’Ivoire, les pistes sont en général en bon état et les endroits techniques plutôt rares. Mais un moment d’inattention, je n’ai pas vu le trou, et me voilà gisant lamentable face contre terre.

Rouler sans embrayage est faisable, mais Tombouctou est encore loin et d’immenses étendues de sable nous séparent d’elle. Là, c’est tout de suite moins drôle. Des pièces de rechanges ? Oui, nous avons des câbles de mobylettes, des chambres à air de secours, du scotch et un peu de fil de fer en tout et pour tout.

De toute façon, nous n’avons d’autres choix que de rouler jusqu’au prochain village. Démarrage à la poussette et ça repart !

Heureusement, les premières cases rapidement apparaissent. Nous nous arrêtons, nous sommes accueillis, de l’eau nous est offerte, nous parlons de tout et de rien, et enfin, nous abordons notre problème.

Discussions, palabres et quelques dizaines de minutes plus tard, le chef nous dit que tout va s’arranger. Ils vont fabriquer un nouveau levier.

Qui eu crû que nous trouverions mieux qu’un concessionnaire Suzuki en pleine brousse !

Pour les plus bricolos d’entre vous, voici la recette pour un levier, sachant qu’ils m’en ont fabriqué deux. On n’est jamais trop prudent !

Confiez les deux morceaux du levier brisé au forgeron qui se chargera de réaliser un moule en terre cuite. En fait, il s’agit de deux demi-moules qu’il soudera par la suite. Laisser sécher. Une légère cuisson au feu de bois peut s’avérer utile si la terre est trop humide.

Ensuite, préchauffer votre bas fourneau à forte température pour y faire fondre quelques vieilles boites de conserves récupérées de ci de là.

Une fois le fer blanc liquide à souhait, coulez la nouvelle pièce. Laisser refroidir et démoulez précautionneusement. Et oui, il ne s’agit pas d’aluminium, juste du fer blanc !

Pour finir, confier la préparation au mécano local qui ébarbera, limera, polira et taraudera le nouveau levier.

Dernière étape, vérifier la conformité de la pièce à la norme AFNOR NE-43456-XT-72.

Pour finir, remonter le tout sur la moto, and, enjoy !

Et combien de temps tout cela prendra-t-il  ?

Ah, vous n’avez toujours pas compris ! C’est la question à ne pas poser. Cela prendra … le temps qu’il faudra !

De toute façon, rassurez-vous, tout va bien, nous sommes les hôtes du chef et de sa famille. Nous leur offrons quelques kilos de riz en remerciement et le tour est joué.

Qui devait traverser la frontière le soir même ? C’est ça l’aventure, ne pas savoir de quoi demain sera fait.

Finalement, nous resterons là trois jours, le séchage des moules ayant été plus long que prévu.

Mais l’essentiel est ailleurs, nous finirons par y arriver au Mali … un jour … s’il y a la chance comme on dit ici !

Le moral toujours au beau fixe, nous reprenons la route. Dernier panneau de Côte d’ivoire …

Et … miracle …

Nous avons passé la frontière ivoirienne ce jour, le 11 août 1993 vers 14h.

Comme quoi, il ne faut jamais désespérer.

Nous roulons encore quelques kilomètres dans le no man’s land et arrivons à la frontière malienne … fermée jusqu’à nouvel ordre. Normal quoi …

Ainsi va la vie …

Rien d’exceptionnel à cela, d’ailleurs tout est prévu pour dormir et manger le temps nécessaire. Alors, nous nous installons … pour une durée indéterminée.

Et la frontière restera fermée tout l’après-midi.

C’est comme cela, les horaires d’ouverture et de fermeture, encore des concepts importés par les colons blancs et sans réel sens ici. La priorité reste avant tout la vie. Franchement, rester derrière son bureau pour maintenir une frontière ouverte, est-ce si important ? D’ailleurs, qui a inventé les frontières, les passeports, les tampons et toute la paperasse ?

Il y a tellement d’autres choses plus importantes dans la vie, comme la venue d’un parent, un ami à dépanner, la première dent de la petite dernière, que sais-je d’autre. Voilà des urgences impérieuses !

Inutile de demander à quelle heure elle ouvrira. La réponse est évidente : prochainement …

D’ici là, nous nous organisons et en profitons pour faire un peu de lessive et de ménage. Oui, vous avez bien lu, du ménage !

Une constante de la latérite est de produire une poussière rouge si fine qu’elle s’immisce partout, mais vraiment partout. Et nos bagages, de vulgaires sacs à dos, se remplissent régulièrement malgré l’usage de poches plastiques pour essayer de préserver tant bien que mal nos affaires. Alors, de temps en temps, un bon dépoussiérage s’impose.

Après une nuit paisible bercée par les délicats ronflements de Digba, dignes d’une Harley sans dB killer, nous sommes réveillés par le remu ménage extérieur. La frontière vient d’ouvrir, alors ne trainons pas. Le petit déjeuner se fera au Mali ce coup-ci.

Après un passage de frontière express et le sésame en poche …

Nous voici enfin au Mali !

L’inconnu est devant nous, l’aventure, la vraie, peut enfin commencer.

A suivre …

4 réflexions sur “Tombouctou, nous voici !

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